Selon les récits rapportés, la direction aurait entamé une transition brutale de son modèle de management avec l’arrivée d’Estelle Brachlianoff en remplacement d’Antoine Frérot qui a pris la tête du Conseil d’administration. La nouvelle dirigeante aurait mis en place une conception très solitaire du pouvoir, ne saluant plus les équipes et se bornant à une communication frénétique et terriblement moderne à coup de « selfies » et messages vidéo, qui auraient fait dire à certains membres de son comité exécutif qu’elle se comportait comme « un papillon attiré par la lumière ».
Si la lente dérive de Veolia plonge ses racines dans un passé lointain dont l’ancienne direction porte une part de responsabilité, la situation économique du groupe ne cesse de s’assombrir, dégradant encore un peu plus les relations humaines. En rompant avec un management dur mais « à l’ancienne », le groupe aurait progressivement instauré un climat généralisé de brutalité managériale et de sournoiseries politiques qui affecte considérablement les principales chevilles ouvrières de la direction.
Une situation financière difficile pour Veolia Eau
Au mois de décembre dernier, il était rapporté que les enjeux financiers avaient dégradé les rapports hiérarchiques au sein du groupe. Ainsi, un comité exécutif se serait même tenu au siège, selon plusieurs sources internes concordantes, lors duquel Estelle Brachlianoff aurait adressé une violente remontrance à l’ensemble du comité exécutif, allant jusqu’à leur interdire désormais toute information financière globale, exigeant en retour qu’ils « remontent du cash » le plus rapidement possible. Juste après elle, le directeur général adjoint et patron de la communication Laurent Obadia – qui a officié par ailleurs en tant que conseil en communication de Jean-Charles Naouri ou de la défunte Liliane Bettencourt parallèlement à Veolia – aurait averti les présents qu’il les « aurait à l’œil » et qu’ils seraient désormais systématiquement « surveillés »… Ambiance !
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Cette proximité entre la communication et les sphères dirigeantes, décrite par plusieurs témoins, accentuerait la crainte ou l’impossibilité pour certains salariés de faire remonter ouvertement leurs doléances, de peur de se retrouver exposés. Toujours d’après les informations recueillies, après cet échange tendu, certaines filiales auraient alors décidé de décaler le reversement de leur quote-part aux communes après le 1er janvier, afin d’« embellir » les comptes en fin d’exercice. Lorsque nous rapportons cet épisode à un témoin, la réponse est immédiate : « Cela ne m’étonne pas. » Pour lui, cette histoire témoigne d’une obsession ancienne de la trésorerie qui serait devenue centrale chez Veolia.
Veolia doit ainsi générer du cash pour le versement des dividendes. Veolia Eau disposait notamment de 960 millions d’euros de réserves pour remonter du cash à la société mère, qui ne possède quasiment pas de trésorerie. Diverses manipulations comptables sont utilisées pour distribuer des dividendes qui ne sont pas réellement détenus. Nos interlocuteurs n’ont d’ailleurs pas été surpris par les révélations relatives au Comex d’urgence, affirmant que madame Brachlianoff avait sûrement paniqué en prenant connaissance de la situation de la trésorerie et cherché de l’argent au plus vite pour ne pas ulcérer les actionnaires. Il faut bien comprendre que Veolia est un groupe dépendant de contrats et de délégations de services publics. L’entreprise se fait régulièrement épingler pour des retards de paiements aux fournisseurs et son bilan est largement « ripoliné ».
Un plan social qui ne dit pas son nom
On aurait pu imaginer que le changement d’équipe dirigeante allait inaugurer une nouvelle ère chez Veolia. Mais d’après des cadres ayant été discrètement exfiltrés, Estelle Brachlianoff serait en réalité dans une posture délicate : elle aurait hérité d’une situation financière plus compliquée que prévu, à cause notamment de divers contrats déficitaires, des restructurations déjà entamées par Antoine Frérot, et d’une fusion complexe avec Suez. Résultat : la priorité deviendrait de stabiliser la trésorerie, ce qui accentuerait la pression sur les filiales et alimenterait la vague de départs.
Des cadres nous ont ainsi indiqué que « Veolia Eau France » perd beaucoup d’argent », ce qui aurait provoqué notamment le départ de Thierry Pagniez, ex-Directeur financier de Veolia Eau France. Ce dernier, après avoir dû boucler les comptes a été remplacé par une Espagnole « parlant à peine français » puis aurait été reclassé à « l’environnement ». De fait, certains cadres sont difficiles à licencier, tant pour des raisons financières que pour des raisons plus obscures tenant à leur connaissance des arcanes de la société.
Entre la version officielle d’un champion national de l’environnement, garant de la distribution de l’eau dans de nombreuses collectivités, et la version officieuse d’un empire financier en tension, recourant à des méthodes musclées pour préserver ses comptes, le fossé est grand
Lorsque la société Veolia est interrogée sur ces questions, la direction se montre discrète, préférant souligner les succès opérationnels et la transition post-fusion avec Suez. Officiellement, aucune restructuration d’ampleur n’est en cours, et l’entreprise rappelle régulièrement sa volonté de maintenir un dialogue social « exemplaire ». L’avis des anciens et actuels salariés est tout autre. Un témoin nous affirme ainsi que ce qui a cours ces dernières années est très différent de « l’image paternaliste » dont le groupe jouissait naguère. Tant pis pour les gens qui dérangent ou coûtent trop cher, ils sont éloignés à « coups de chèques de départ » quand bien même auraient-ils contribué à la construction de l’entreprise. Tous les secteurs de la société sont visés : juridique, comptabilité, informatique. La réalité est que la direction a peur que les marchés ne paniquent si la situation est publique.
Entre la version officielle d’un champion national de l’environnement, garant de la distribution de l’eau dans de nombreuses collectivités, et la version officieuse d’un empire financier en tension, recourant à des méthodes musclées pour préserver ses comptes, le fossé est grand. Les témoignages concordants indiquent plutôt un système où la peur et la brutalité règnent, forçant les cadres et syndicalistes à se taire. Personne n’a d’ailleurs souhaité parler à visage découvert, et nombreux sont les témoins à déclarer craindre être visés par des mesures de rétorsion et d’intimidation. Les accords de confidentialité se multiplient, verrouillant l’accès aux informations sensibles. De fait, les salariés se retrouvent désormais soumis à de fortes pressions, quand ils ne sont pas sur le chemin du départ, parfois en négociant tant bien que mal des compensations financières.
On nous décrit une entreprise sociale mais pas humaine, où seul le résultat à court terme compte ainsi que la montée de cash pour les actionnaires. Ainsi, Veolia Eau aurait aussi finalement décliné de soumettre une offre pour la distribution d’eau à Mayotte, sachant que le marché serait déficitaire. Un cas qui illustre d’une manière crue les difficultés d’un groupe qui n’a pas encore su digérer la fusion avec Suez et dont la gouvernance ne peut qu’interroger pouvoirs publics et financiers.