« Memento mori ». La légende raconte qu’un esclave répétait cela à l’oreille du général romain au moment de son triomphe. « Souviens-toi que tu vas mourir ! » Et le général est mort et l’empire qu’il servait a disparu comme sont morts tous les hommes qui sont nés un jour et se sont effondrés tous les empires qu’ils ont érigés. Il n’empêche que malgré l’évidence et malgré l’histoire, malgré Valéry, malgré les églises désertées qui s’apparentent désormais presque plus à d’étranges musées funèbres qu’à des temples, malgré tout cela, chacun peine à envisager la réalité de sa mort et, paradoxalement, peut-être moins encore celle de sa civilisation ; surtout pour un chrétien lorsque cette civilisation s’est confondue avec sa foi de telle sorte qu’il a pu croire, l’espace de presque deux millénaires, que la chrétienté s’incarnait sous la seule modalité du triomphe romain. Mais « Souviens-toi que tu vas mourir » vient répéter à l’oreille de ses lecteurs stupéfaits, Chantal Delsol, « Souviens-toi que tu vas mourir » parce que si tu n’es pas déjà mort, tu agonises…
Il est parfois de salubrité publique de désespérer un peu les gens
C’est l’agonie de cette civilisation vieille de seize siècles que la philosophe entend mettre en lumière et dont elle discerne les traces jusque dans le catholicisme même, tant et si bien qu’il se trouve à son tour en décalage avec l’espace géopolitique qu’il a surplombé tout ce temps : la chrétienté. Première marque de la mort, ce divorce entre la civilisation occidentale et le christianisme, la première entendant bien continuer sa route sans le second. Disciple de Freund, Delsol sait qu’une des spécificités de la civilisation occidentale est précisément d’en accumuler en elle plusieurs, aussi l’évacuation du catholicisme en tant que référent morale capable d’astreindre les corps et les cœurs, ne saurait préfigurer un quelconque déclin de l’Occident mais sa mutation en autre chose que, pour sa part, Delsol assimile à la restauration d’une sorte de paganisme au travers d’une déification de la nature dont l’écologie pourrait être la nouvelle théologie. [...]
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