Le cinéma est une arme aussi efficace qu’un porte-avions et la franchise de films MCU – pour Marvel Cinematic Universe – produite par les studios Marvel, propriété de Walt Disney, a une force de frappe qu’aucune flotte rivale ne saurait lui contester. En un peu plus de vingt ans et trente films, Marvel a gagné plus de trente milliards de dollars et rendu la planète accro aux super-humains bodybuildés en collants. Après avoir essoré Spiderman et Iron Man, Marvel doit désormais piocher parmi les seconds couteaux, tout en s’efforçant d’être dans l’air du temps. Or la mode est à la cancel culture et le fond de l’air est woke. La Panthère noire (« Black Panther » en version originale), super-héros créé par le scénariste Stan Lee et le dessinateur Jack Kirby pour le 52e opus des aventures des Fantastic Four en juillet 1966, était donc le candidat parfait pour incarner le nouveau super-symbole conscientisé de l’ère Trump. Le softpower américain est un instrument économique, géopolitique et idéologique, soigneusement calibré.
En un peu plus de vingt ans et trente films, Marvel a gagné plus de trente milliards de dollars et rendu la planète accro aux super-humains bodybuildés en collants
En 1954, quand le magazine de comics Jungle Tales présente le héros « Waku, le prince Bantu », son éditeur, Atlas Comics (nom de Marvel Comics à l’époque), suit avec précision l’actualité du moment et le combat pour les droits civiques. En 1966, l’héritier de Waku, rebaptisé « Black Panther », s’adresse directement aux lecteurs noirs américains en mettant en scène ce super-héros qui règne sur le Wakanda, royaume imaginaire situé en Afrique, très avancé technologiquement, seul endroit au monde possédant des mines de vibranium, métal extrêmement rare aux propriétés fantastiques. Cette Panthère noire rencontre un tel succès auprès du lectorat afro- américain qu’elle aurait même inspiré le nom du Black Panther Party, créé en octobre 1966. Cinquante ans plus tard, la Panthère noire a donc logiquement repris du service pour coller à une autre actualité, celle de #metoo et BLM. Et le pari de Marvel a été payant. Black Panther, sorti en 2018, a coûté 200 millions de dollars, en a rapporté 1,3 milliard et son protagoniste principal est devenu une icône pop culture du nouveau combat pour les droits civiques dans le climat de tensions ethniques et de violences qui a marqué le mandat de Donald Trump.
En 2022, Marvel tente de rééditer l’excellente opération commerciale du premier film. Malheureusement, l’acteur principal, Chadewick Boseman, est décédé en août 2020 d’un cancer du côlon. Qu’à cela ne tienne, le nouvel opus de Black Panther sera non seulement un film de super-héros afro-américains mais également dominé par les femmes. Et le nouvel ennemi du Wakanda est une ancienne puissance coloniale qui tente de lui voler son vibranium. Nous ne gâcherons pas la surprise des quelques lecteurs qui n’auraient pas encore vu Black Panther : Wakanda Forever (c’est le titre) en révélant que l’on apprend dès le début du film le nom de cette odieuse nation sans foi ni loi : la France. La toute première scène du film montre les forces spéciales françaises qui tentent de s’attaquer à une base avancée du Wakanda… au Mali. Confrontés aux fières guerrières wakandaises, les soldats de l’ancienne puissance coloniale sont facilement vaincus et amenés pieds et poings liés face à l’assemblée des Nations-Unies devant laquelle ils sont forcés de se mettre à genoux. On se souviendra qu’il y a vingt ans, en 2003, c’est un autre héros de comics, Captain America, qui traitait les Français de lâches, pour avoir eu l’audace de refuser de soutenir l’intervention de l’Oncle Sam en Irak. Bien sûr, en refourguant aussi grossièrement leur clinquante camelote, les studios Marvel insultent la mémoire des 58 soldats français tués au cours des opérations Serval et Barkhane, dont le sacrifice a permis d’éviter la contagion islamiste dans toute l’Afrique de l’ouest et au Mali de conserver son intégrité territoriale. Marvel estime peut-être que la présence des mercenaires de Wagner est préférable à celle des soldats français au Mali…
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Pendant qu’Hollywood réécrit sa géopolitique mondiale, la guerre – la vraie – fait rage depuis un an bientôt aux portes de l’Europe. Vu d’Ukraine, le Wakanda paraît loin. Ses décors et son idéologie de carton-pâte sont balayés par le retour du tragique. L’agression de la Russie a remis brutalement les choses en perspectives. Qui sait ce que nous réserve 2023 ? Après les trois millésimes que nous venons de connaître, on ne se hasardera pas à le prévoir. Mais faisons le pari que la France aura, dans le grand schéma de l’avenir, un rôle plus important et plus digne à jouer que celui que prophétise Disney. Tous les espoirs restent permis : nous n’avons pas de vibranium mais il nous reste L’Incorrect ! Bonne année 2023 !
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