Le passage du muet au parlant a été pour Hollywood une sorte de révolution anthropologique. Jusque-là, le cinéma relevait de l’art forain : des saynètes rapidement mises en boîte et diffusées dans les nickelodeons, ces cinémas de quartiers montés sur tréteaux dans les quartiers pauvres. Ses acteurs et actrices étaient souvent de jeunes personnes sans éducation, issues du monde rural, qui connaissaient une ascension et une chute fulgurantes. Le passage au parlant oblige les producteurs à trouver des femmes plus éduquées, sans accent du terroir. C’est là qu’ils commencent à construire le mythe de la diva hollywoodienne. « On passe en effet des petites fiancées de l’Amérique, comme Mary Pickford, qui étaient célébrées parce qu’elles disaient l’importance d’une Amérique encore naissante qui se cherchait une identité, à des femmes beaucoup plus sophistiquées, voire intouchables, aux origines européennes plus revendiquées. Il ne faut pas oublier le code Hayes (code de censure instauré de 1930 à 1952, NDLR) qui a obligé les réalisateurs à déployer des trésors d’invention pour suggérer l’érotisme de leurs actrices, tranchant avec les films d’avant qui étaient volontiers scandaleux… d’où cette aura intouchable dont l’actrice des années 40 et 50 commence peu à peu à se parer. » C’est une vraie « mythologisation » qui est en cours, à mesure qu’Hollywood prend acte de son propre pouvoir.
Lire aussi : Hedy Lamarr : l’extinction des étoiles
Mythe ou effets spéciaux
« Parmi les moments décisifs dans cette construction du mythe, souligne Laurent Dolet, je citerai La Reine Christine, qui est un personnage historique, mais montré dans le film d’une manière complètement fantasmée. Vous avez notamment cette image de la fin, quand elle est filmée à la proue du bateau, avec un visage marmoréen, comme une statue – on lui a demandé de n’exprimer aucune émotion. » C’est avec ce genre d’image définitive qu’Hollywood construit patiemment son mythe. À partir des années 70 le Nouvel Hollywood, avec son injonction à un certain naturalisme hérité de la Nouvelle Vague, viendra donner un premier coup de poignard à ces images de papier glacé. Mais aujourd’hui ? « Une chose dont on parle peu, et qui à mon sens a transformé profondément l’image des actrices, c’est l’évolution des effets spéciaux. Tant que les effets spéciaux étaient balbutiants et consistaient essentiellement à avoir de beaux costumes et de grands décors, il fallait des personnages qui avaient un charisme extraordinaire pour compenser le manque de réalisme. Aujourd’hui c’est à peu près l’inverse : les effets spéciaux remplissent tellement le champ qu’il faut des actrices discrètes, presque simplifiées… »
Le Néoféminisme Contre Les Femmes Fatales
Un autre vecteur de cette simplification des femmes : le néo-féminisme qui castre tout le monde, à commencer par les femmes. « Les actrices d’aujourd’hui ne souhaitent plus être réduites à des figures de séduction. D’ailleurs, lorsqu’on parle encore aujourd’hui des divas de l’âge d’or d’Hollywood, c’est en général pour les associer à autre chose, comme si leur charme, leur beauté ou leur talent ne suffisaient plus : pour Hedy Lamarr, on parle de sa participation à l’invention du sonar. Pour Liz Taylor, de son engagement contre le sida, pour Audrey Hepburn, de son rôle d’ambassadrice Unicef, pour Rita Hayworth du fait qu’elle fut une des premières personnalités officiellement diagnostiquées comme souffrant de la maladie d’Alzheimer, pour Marilyn Monroe, de son mal-être et de sa mort non élucidée, pour Ava Gardner de son caractère rebelle à l’égard des puissants ou de son refus du sexisme et du racisme… On ne célèbre plus les femmes pour leur esprit ni pour leur beauté. »






