En cette rentrée, on l’aura compris, le deuil est au sommet des dernières tendances. Le cours du viol ou de la manipulation en milieu familial a beaucoup baissé, même si Chloé Delaume a tenté une petite relance avec la variation « viol conjugal », mais on sent que Saint-Germain-des-Prés n’y croit plus trop. Non, la nouvelle saison porte haut les couleurs orange rouille, vert pistache et noir funéraire, piété familiale plutôt que vengeance publique et veillée mortuaire à la place de l’oncle enfin dénoncé. Plus d’ex toxique en stock, on sort son défunt, on l’embaume, on l’expose. Il faut croire que les écrivains à la mode, pour y rester, ont décidé de labourer cette parcelle bio du champ littéraire, garantie émotions authentiques et chagrin sincère, sujet en marbre, indubitable, majestueux, universel ; le sacré à la portée des corbeaux. Difficile de les traiter de poseurs quand ils débarquent le requiem à la bouche, regardez-les se presser sur la rampe, le crêpe noir d’Amélie Nothomb voile ses yeux perpétuellement effarés et fait ressortir sa peau livide, Emmanuel Carrère brandit ses chrysanthèmes le visage plus « cire fondue » que jamais, Rebeka Warrior suit en teeshirt noir, faire-part à la main, et on ne sait plus si elle fait la gueule après une nuit de défonce ou si c’est la pâleur des endeuillées qui l’affecte, mais la voici bousculée par le petit Paul Gasnier qui se précipite sur le devant de la scène avec son air grave et hautain de veuve de guerre ayant donné son mort à la cause du multiculturalisme.
Le poète d’occasion est porté par un sentiment si bouleversant qu’il s’imagine toujours que le flux se déverse intact au tuyau de ses banalités
Certains, arrivés à la bourre, vont encore plus loin pour prendre le corbillard en marche : François Morel sur le plateau de « La Grande Librairie » dédie ainsi un texte à sa femme décédée en février dernier, sans aucun rapport avec le sujet de la pièce qu’il venait défendre, mais enfin l’opportunisme inspire, il en rajoute dans le degré de deuil pour rattraper son retard, n’avoir pas l’air à la traîne, lit carrément une lettre à la défunte, l’œil larmoyant face caméra. Il enfile toutes les perles du genre, c’est aussi gênant dans la forme que niais dans le propos, c’est que l’épitaphe du sexagénaire a la même fausse fraîcheur que l’épithalame du puceau. Le poète d’occasion est porté par un sentiment si bouleversant qu’il s’imagine toujours que le flux se déverse intact au tuyau de ses banalités. Mais non. Le striptease morbide prend fin, la foule soupire. Édouard Louis se demande s’il va devoir s’inventer un amant brusquement claqué d’une overdose, mort tragique dont il pourra déduire en 120 pages qu’elle est la conséquence des inégalités de classe que les riches perpétuent même quand ils l’invitent à dîner et que les pauvres ignorent parce qu’ils sont vraiment trop cons. Du côté des critiques, on cherche le livre d’or : « Évocation très touchante du défunt, mais l’anecdote sur sa cousine était dispensable. », « Maquillage parfait mais on ne reconnaît plus Monique. », « Crise de sanglots admirable. » Mais voilà qu’une autre équipée débarque dont le surgissement fait encore chuter la température. Des murmures parcourent l’assemblée. Un cadavre miraculeusement réveillé, les apercevant, se rencogne dans son cercueil. Les endeuillés se figent. Les nouveaux venus portent de longs imperméables en cuir noir, des brassards avec le logo de leur service : Mediapart, Libération, Le Monde. L’un d’eux exhibe une carte : « Police de la pensée, veuillez présenter vos romans. » C’est Johan Faerber de Mediapart, Simona Crippa, sa consœur, passe devant lui et interpelle Carrère en brandissant Kolkhoze d’un air menaçant. « Dites donc, Monsieur Carrère, siffle-t-elle, comment comprendre les formules euphémisantes égrenées sur un ton badin dont vous usez pour évoquer la bascule fasciste de Brasillach ? “On peut dire qu’il a payé pour les autres. Grande dignité dans son procès : comme s’il avait dessoûlé. ”, écrivez-vous. Dessoûlé : comme si le fascisme était une simple cuite ? » Carrère bredouille. Il n’a pas fait attention, ce n’était pas le sujet de son livre, bien sûr qu’il condamne le nazisme, non, non, il ne trouve pas Hitler sympa.
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Des morts, d’élégants endeuillés ou des poseurs funèbres, des inquisiteurs traquant le dérapage même chez l’orphelin tout frais : bienvenue dans la parade de l’automne 2025. Puisqu’on vous dit que Paris est une fête.
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