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Ah, les « AG » universitaires, où se décident généralement le sort, non pas d’une fac, ni même de la France, mais du monde entier ! Les Français ont toujours souffert du syndrome de la réunionite aigue, dont les premiers symptômes peuvent se faire jour dès l’adolescence. Le patient aura tendance à ne plus raser les quelques poils de son menton, se greffe un vieux tee-shirt à l’effigie de Che Guevara mal odorant, et développe un esprit grégaire qui le pousse à occuper bruyamment des espaces clos pour réclamer des privilèges extravagants. Visite exclusive d’un sanatorium universitaire nantais.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la première chose qui vous frappe en AG (assemblée générale) n’est pas un militant antifa mais l’odeur de sueur qui imbibe l’amphi. À Nantes, lundi 13 avril, 1300 étudiants étaient entassés dans l’amphi E qui en contient théoriquement 800 assis. La première et dernière intervention de la doyenne a été d’interdire à plus d’étudiants d’entrer pour des raisons de sécurité. Objectivement, l’AG s’est plutôt bien tenue. Les prises de paroles étaient chronométrées par une équipe de modérateurs qui faisaient respecter l’orateur. Faute de place dans les locaux de la faculté de lettres, c’est dans le grand amphi des juristes que l’assemblée était convoquée. Une section où l’unanimité pour un blocage est loin d’être acquise. L’AG s’annonçait donc plus sportive que prévue. Première question à débattre, les journalistes. La proposition de les obliger à venir à la tribune se présenter, et dire pour qui ils travaillent est adoptée. Mais un peu comme à l’Assemblée -nationale celle-ci-, les lois sont votées quand les décrets d’application se font désirer. En effet les orateurs poursuivent les débats et le reporter de L’Incorrect n’aura pas à sa grande déception à s’auto-dénoncer.
Objectivement, l’AG s’est plutôt bien tenue. Les prises de paroles étaient chronométrées par une équipe de modérateurs qui faisaient respecter l’orateur.
En bas à droite de l’amphi, un garçonnet se ronge les ongles avec vigueur. Il est habillé de noir de pied en cap et porte des chaussures Quechua de randonnée. Est-il en première année de licence ? « Ça ne vous regarde pas » dit-il d’une voix particulièrement fluette du haut de son mètre cinquante. La convergence des luttes c’est manifestement pas maintenant pour ce qui est donc un lycéen en goguette. Il se lève et va se placer en vue des modérateurs pour une prise de parole. Au passage sa chute de reins permet de constater qu’en dépit de sa coiffure il s’agit d’une demoiselle. Clairement plus féministe que féminine. Après un nombre de tentatives donnant lieu à un spectacle fort malaisant, la demoiselle a enfin la parole. « Les flics se constituent en milice ! Hier ils sont tabassé un exilé qui participait à la manif ! » Que faisait un clandestin dans une manifestation contre la sélection à l’université restera un mystère, mais le temps de parole accordé à l’équipe minime des troupes de choc antifas est épuisé. A peine le temps de savourer la gloire d’applaudissements (mitigés), elle mène une nouvelle offensive contre ses ongles malheureux qui servent de thérapie pour son syndrome de choc post-traumatique.
Que faisait un clandestin dans une manifestation contre la sélection à l’université restera un mystère, mais le temps de parole accordé à l’équipe minime des troupes de choc antifas est épuisé.
Une autre demoiselle (les modérateurs ont assumé donner la parole prioritairement aux filles, sans commentaires) prend la parole. Anti-blocus, elle a préparé un petit discours sur une feuille pour avoir un propos clair et concis. Sa parole est respectée, et des applaudissements nourris et longs saluent son intervention. C’est alors qu’un bloqueur inclusif (« bonjour à tous et toutes ») prend la parole pour un grand moment de démocratie participative : « Je crois que certains n’ont pas compris le principe de l’AG. C’est pas une AG populaire, c’est une AG en lutte. Du coup les anti-blocus n’ont pas à venir s’exprimer, ça ne les concerne pas ». Indignation dans la salle : utiliser une nuance sémantique de cet ordre pour interdire le débat c’est un peu gros. Mais plus c’est gros plus ça passe. Le tabou absolu du jour, l’ennemi contre lequel il faut faire front si j’ose dire, est la sélection. Les arguments invoqués sont dans l’absolu compréhensibles. L’accès libre aux étude de son choix permet à n’importe qui de prendre l’ascenseur social par son travail. « Mais si il y a un quota à l’entrée en Master, explique un orateur, qui croyez-vous que la fac prendra ? Celui qui est pauvre et qui rapportera peu à l’université ou le riche ? La sélection c’est le moyen des riches d’interdire aux prolétaires de s’en sortir ! » L’amphi applaudit derechef cette démonstration. Réalise t-il que la fac sélectionnera seulement avec les notes et les appréciations ? Le combat mené contre la sélection est un combat contre le travail et le mérite, pour le droit à la médiocrité. Mais surtout comprendra t-il que la sélection contre laquelle il se bat est la garante de la réputation du diplôme public ? Plus les diplômes publics -bac, licence et autres- sont dévalorisés, la valeur des élèves qui sortent d’écoles privées augmentera proportionnellement, favorisant les plus fortunés. Soit l’exact inverse du but recherché. Un mécanisme d’autodestruction.
Le tabou absolu du jour, l’ennemi contre lequel il faut faire front si j’ose dire, est la sélection. Les arguments invoqués sont dans l’absolu compréhensibles.
Le plus cruel, c’est que si une sélection n’est pas faite par la fac avant le diplôme, elle sera faite par le marché du travail après. Et le réel n’a pas de bureau des plaintes. Faire croire aux étudiants que la fac est un chemin sûr vers un travail est irresponsable. Des dizaines de milliers d’étudiants sortent chaque année de master avec des compétences et un savoir intéressants mais ne correspondant pas à des compétences professionnelles. Pour ces étudiants c’est un drame après cinq ou six ans d’études de réaliser qu’ils sont des dizaines milliers de clones pour quelques centaines de postes. Mais c’est pas grave étant donné qu’ils sont égaux ! À la tribune c’est désormais une demoiselle du collectif MANTE qui s’exprime. Le nom de son groupe signifie Meufs Anarchistes Nantaises Très Énervées. Elle propose des ateliers non mixtes ouverts aux trans, éventuellement aux racisés, aux non-binaires, bref à tout le monde sauf les hétéro mâles blancs. Décidément cette AG part dans tous les sens, mais aucun risque de partir en couilles. Vient ensuite un temps extraordinaire de co-congratulation surréaliste. Un meneur salue la présence d’un cheminot venu par solidarité, longuement ovationné : « Je tiens à vous dire les jeunes que votre mobilisation est impressionnante, c’est hi-sto-rique ! ». Un étudiant revenu d’un piquet de grève des éboueurs les salue à son tour : « le blocage des transports est géant, c’est la pagaille, le gouvernement a peur et va reculer, c’est hi-sto-rique ! ». Un quarantenaire prend le micro à son tour : « je suis délégué syndical à Monoprix, et je peux vous assurer que la grande distrib ne lâche rien, et que la convergence des luttes et en place. On vit un moment hi-sto-rique ! ». Dans cet amphi bondé, des yeux brillent d’une joie féroce. Puisqu’on nous le dit ça doit être vrai, on écrit l’Histoire. Dehors, le monde tourne. Les inconvénients réels du métier de cheminot ne sont plus si différends de ceux de tout le monde dans la start-up nation. La mayonnaise ne prend plus. La violence des antifas et autres groupuscules d’extrême gauche est l’ultime charge d’un fauve blessé. Peut être blessé à mort.
À la tribune c’est désormais une demoiselle du collectif MANTE qui s’exprime. Le nom de son groupe signifie Meufs Anarchistes Nantaises Très Énervées. Elle propose des ateliers non mixtes ouverts aux trans, éventuellement aux racisés, aux non-binaires, bref à tout le monde sauf les hétéro mâles blancs.
Les facs sont des territoires où règnent l’arbitraire et la violence pendant ces blocus. Il y a quelques jours, un étudiant lillois sympathisant de Génération Identitaire s’est fait violemment tabasser par une meute d’antifas en patrouille qui l’ont intercepté à sa sortie de TD après l’avoir repéré. Ils l’ont même tabassé une seconde fois avec leurs supplétifs de banlieue lorsqu’il a essayé de récupérer sa voiture un peu plus tard dans la soirée. Le document médical est en photo. L’écœurement maximal a eu lieu lorsque les antifas se sont plaints d’avoir été attaqué, et Martine Aubry elle-même les a relayés. Le territoire de la rue, des centre-ville, des cités et des facs est perdu par les conservateurs. Non pas par manque de courage ou de jeunesse, mais parce que ce camp n’a pas de chômeurs de langue durée ou de décrocheurs scolaire qui n’ont d’autre occupations que traîner dehors. Des étudiants studieux, des pères de famille, en un mot des travailleurs. Il va falloir un jour pour éviter l’explosion, que les grévistes et bloqueurs fassent un tour dans le monde réel, et que les conservateurs prennent conscience que les combats menés dans ces arènes ont leur utilité aussi.
L’AG part dans des débats sybillins sur l’opportunité ou non de reconnaître la CNE en plus de la CNL. Après plusieurs minutes de débats acharnés, on décide de reporter cette décision technique à après les votes, parce que la manif part à 14h30 et qu’il est déjà 14h20. Motif invoqué par la modération : « De toute façon, personne ici ne connaît la différence entre les deux ». Merci. C’est l’heure du vote. La modération a l’élégance de demander des volontaires anti-blocus pour un comptage impartial. Le résultat du scrutin à main levée tombe : 62% pour mais 38% contre. Un nombre considérable, d’autant que traditionnellement les anti-blocus se déplacent moins pour les AG. Ce qui signifie de manière claire aux pro-blocus qu’ils sont bel et bien minoritaires empiriquement. D’ailleurs l’ovation gigantesque à l’annonce de leur victoire était le signe de leur angoisse. Peut être la projetteront-ils sur les flics dans quelques dizaines de minutes. Pendant ce temps-là le monde tourne.
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