[qodef_dropcaps type=”normal” color=”RED” background_color=””]A[/qodef_dropcaps]insi donc, les yachts et les Ferrari, sans compter quelques lingots d’or, échapperont peut-être à l’impôt sur la fortune. « Cadeau fait aux riches » hurle aussitôt une presse indignée. Cadeau ?
Il faudrait d’abord le relativiser, puisque, dans le même moment, on nous annonce une plus lourde imposition sur la propriété foncière. Il faudrait surtout tirer toutes les conséquences de ces choix fiscaux, car c’est de deux richesses différentes qu’il s’agit, et le cadeau fiscal prévu par ce gouvernement de minets technocrates n’est en fait qu’un cadeau aux parvenus.
Un cadeau pour les frimeurs
Car on voit bien qui en seront les premiers bénéficiaires, en dehors d’une super-classe qui, de toute manière, se moque bien de notre fisc, derrière ses écrans de conseillers fiscaux et de paradis du même nom. C’est un cadeau à tous ces frimeurs pour lesquels « la vie est une fête », pardon, « une teuf », et qui font de l’ostentation de ces signes extérieurs de richesse que l’on cachait auparavant avec soin dans les bonnes familles l’alpha et l’omega de la réussite. Citons, pêle-mêle, les charmantes jeunes femmes qui peuplent les studios de télévision, des émissions de télé réalité aux journaux télévisés ; les DJ de soirées privées avec backrooms ; les vieillards éternellement bronzés qui règnent sur la publicité ; les joueurs de foot au sourire si doux ; les rappeurs au langage si riche ; et, bien sûr, tous ces politiciens qui ne rêvent que de s’agréger à cette faune, toujours près du peuple, mais qui lui agitent quand même sous le nez leurs « garde-temps » à plusieurs dizaines de milliers d’euros.
Alors, simple décision de connivence, cadeau faits à ces amis avec lesquels on partage tant ? Pas seulement. Qui ne voit que, derrière ces différents patrimoines, le tape-à-l’œil exonéré et le foncier taxé, ce sont deux styles de vie, deux conceptions du monde qui s’opposent ? Au monde de la fluidité, de l’instant, à ce monde où tout se résume à la vie d’une homme ou d’une femme, où tout doit se plier à la satisfaction de plaisirs immédiats, s’oppose celui de la solidité, de la durée, un monde où l’on sait parfois se sacrifier pour protéger un patrimoine. Au monde des individus sortis du néant et n’ayant rien de plus pressé que d’y rentrer s’oppose le monde des familles et des clans. C’est ce dernier que l’on veut faire disparaître, en taxant une propriété fixée au sol – c’est si facile – pour libérer encore un peu plus celle qui passe d’un compte à l’autre, d’un pays à l’autre, d’un coffre à l’autre.
La loi de finances ne fait pas un cadeau « aux riches »
La propriété foncière, la super-classe la conservera ; que ce soit en France ou en Belgique, en Suisse ou en Patagonie. Et si elle ne la conserve pas elle-même, elle la fera acheter par ses sociétés – off-shore ou non, et tant pis pour les actionnaires qui paieront l’addition – qui mettront gracieusement à sa disposition des châteaux de fonction, avec golfs de fonction, jusqu’aux aux bois de fonction pour les chasses à courre… Nos monades fluides ont compris que l’on pouvait avoir le plaisir de la propriété sans en supporter les inconvénients, et, enfin, jouir sans entraves comme on le leur promettait.
Elle sera la seule. Les anciens propriétaires de ces « biens de famille », malgré leurs siècles de ténacité, en seront enfin exclus, et leurs héritages surimposés, finiront divisés et bradés. On leur fera payer de n’avoir pas compris assez tôt d’où venait le vent, d’être ces conservateurs dont le regard gène nos modernes jouisseurs. On leur fera payer leur goût de la transmission, et cette idée qu’un patrimoine appartient autant à une lignée qu’à son éphémère représentant. On leur fera payer d’être d’ici et pas de nulle part, de ne pas se résigner à la migration permanente d’un monde nomade. On leur fera payer leur enracinement dans une histoire, une lignée, une culture.
Alors, non, la loi de finances ne fait pas un cadeau « aux riches ». Elle n’est qu’un cadeau fait à certains riches et, dans la discrimination qu’elle opère, elle est l’expression de la modernité progressiste dans ce qu’elle a de plus destructeur.