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Tribune libre des jeunes du Parti Chrétien Démocrate
Julien Rochedy, dans un article récemment publié sur son blog, a eu la bonne idée de s’intéresser à la question de l’intelligence artificielle suite à sa lecture du livre de Laurent Alexandre : La guerre des intelligences. Bilan ? Il en sort sous le charme, absolument séduit par le bon docteur dont il juge le livre « très convainquant ». Dont acte. L’objet de son papier est de démontrer aux conservateurs que l’on ne doit pas s’interdire de recourir à l’IA par fausse pudeur ou demi-humanisme puisqu’il faudra, d’une manière ou d’une autre, faire face à cette question dans les années à venir. D’ailleurs, rappelle-t-il, nous sommes déjà en retard sur les États-Unis et la Chine. On retrouve dans cet article la même stratégie argumentative que celle employée par Laurent Alexandre : une première couche de « nous n’avons pas le choix, c’est un mal nécessaire » puis une seconde couche de « c’est une opportunité inespérée ».
Sa démonstration tient en deux grands arguments. Le premier consiste à dire que l’avènement du transhumanisme est un fait inévitable, contre lequel il ne sert à rien de gesticuler. Il faudrait selon lui, pour sauvegarder le statut de l’Europe et de la France, attraper la main de cyborg que nous tend l’Avenir, sans quoi nous disparaîtrions. Avec de tels arguments, Rochedy change de camps, il passe du côté du monde comme il va, de l’adaptabilité à tous prix et de la loi du plus fort. Le voilà qui marche sur le chemin du sens de l’histoire. En fait, Rochedy renonce à la politique, à la possibilité de construire, collectivement, un avenir qui nous convienne. Rochedy, ce désespéré. « Depuis au moins deux siècles, écrit-il, les conservateurs perdent toujours car ils ne peuvent, en définitive, que perdre, la vie et l’Histoire étant par essence des fleuves mouvants que nul ne peut arrêter ».
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De toute évidence, Rochedy a lui-même décidé de se laisser porter par le courant de l’histoire. Et si vous pensiez encore, chimpanzés arriérés que vous êtes, que l’on fait de la politique pour défendre une certaine idée du Bien, détrompez-vous : « Ne pas accepter la révolution à l’œuvre, pour des raisons morales et éthiques n’empêchera en rien que celle-ci suive son cours. » Renoncez, vous-dit-on ! La technique l’a désormais emporté sur la politique ! Ainsi, les conservateurs ne pourront dresser aucune digue contre le raz de marée technologique. Face à cette évolution inéluctable, il ne sert à rien de camper sur des positions conservatrices. La seule option raisonnable est d’orienter ces évolutions selon les enseignements de la tradition. Ce que Rochedy appelle être « traditionaliste ». Excellente intuition qu’on ne peut qu’approuver. Mais quel dommage de réduire comme il le fait la tradition aux soucis de la performance et de la force et à une anthropologie bancale.
Peut-on demander confirmation auprès de Jeanne d’Arc, la bergère analphabète ? D’ailleurs, à partir de quel niveau de QI est-il possible d’entrer au club des saints ?
En une vingtaine de lignes, voilà les sagesses les plus anciennes synthétisées – et tout cela sans s’être encore fait implanter de puce dans le cerveau ! – : « tous les grands courants de pensée spirituels, les plus élevés de l’histoire humaine, ont toujours réclamé plus d’intelligence, plus de capacité et plus de force. » Et pour preuve : « Le christianisme médiéval n’était pas loin non plus de partager un objectif similaire, invitant les « meilleurs », c’est à dire les saints, à se « connecter » à Dieu par des exercices spirituels, philosophiques et métaphysiques qui n’étaient assurément pas à la portée de tout le monde. » Peut-on demander confirmation auprès de Jeanne d’Arc, la bergère analphabète ? D’ailleurs, à partir de quel niveau de QI est-il possible d’entrer au club des saints ?
Tout s’éclaire : l’homme naturel est un sous-homme. Dès lors, pour gagner en dignité, tous les moyens sont bons et la technique la plus efficace sera la meilleure.
Tout cela serait anecdotique si Rochedy n’en tirait pas la conclusion selon laquelle la dignité de l’homme ne lui est pas donnée mais qu’il lui reviendrait de l’acquérir par ses performances. Ainsi donc : « l’homme n’est pas, par nature, quelque chose ayant une ‘valeur en soi’, mais plutôt quelque chose qui peut potentiellement accéder à la valeur par ses actes et ses pensées, ses réflexions et ses réalisations. » Il y a donc bien, comme l’a dit Emmanuel Macron, ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien. Un tel fondement anthropologique pousse, effectivement, vers le transhumanisme. Pour être quelqu’un, pour mériter cette dignité, pourquoi donc ne pas recourir à la technique pour être plus fort, plus intelligent et donc plus digne. Tout s’éclaire : l’homme naturel est un sous-homme. Dès lors, pour gagner en dignité, tous les moyens sont bons et la technique la plus efficace sera la meilleure.
Bien sûr qu’il nous faut nous pencher sur la question de l’intelligence artificielle et du transhumanisme. Bien sûr que nous mettons trop souvent sous ces mots nos peurs et nos fantasmes les plus extravagants. Bien sûr qu’il faut être réaliste et voir le bien que l’on peut tirer de ces technologies. Nous sommes d’ailleurs d’accord avec Rochedy, redisons-le, quand il souligne l’importance du sens que l’on veut donner à ces évolutions techniques, mais non pas parce qu’elles seraient une fatalité, mais parce qu’il y a du bien à en tirer. Ce que l’on regrette, c’est que, s’appuyant sur une anthropologie bancale et ne posant que du bout des lèvres le problème de notre rapport à la technique, Rochedy ferme les yeux – et peut-être même, ouvre la porte – aux graves dérives que peut entraîner le développement de l’idéologie transhumaniste.
Bien sûr que la puissance technique est une richesse humaine. Mais nous pensons qu’il existe un seuil au-delà duquel, prenant le pas sur toute autre considération, elle se retourne contre la dignité de l’homme
Nous voulons donc souligner les deux points qui nous rendent inacceptable cette démonstration. D’abord la question anthropologique. La dignité n’est pas à gagner ou à conquérir. Elle est un don et il n’existe personne qui ne soit digne d’être appelé un homme. On connaît l’influence de Nietzsche sur la pensée de Rochedy. En cela, il est cohérent. Mais il nous semble important de souligner qu’on ne peut tomber d’accord avec lui sur le transhumanisme qu’en renonçant à la conviction de l’inaliénabilité de la dignité humaine. D’autre part, on ne peut balayer d’un revers de la main la question de la nature de la technique. Bien sûr que la puissance technique est une richesse humaine. Mais nous pensons qu’il existe un seuil au-delà duquel, prenant le pas sur toute autre considération, elle se retourne contre la dignité de l’homme. Nous pensons que l’humanité fait face à des enjeux écologiques et sociaux qui font du transhumanisme une utopie néfaste. Nous craignons que peu à peu, soumettant le développement de nos sociétés aux exigences technologiques nous perdions de vue les enjeux réels de la vie humaine. Nous pensons, en somme, avec Ellul que « ce n’est pas la technique qui nous asservit, mais le sacré transféré à la technique. »
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