– Mais vous avez bu, ma parole ! Vous êtes tombé sur la tête, mon pauvre E. ? Je n’ai jamais tutoyé personne à part mes femmes de ménage, et je n’ai jamais laissé personne me tutoyer à l’exception de ma grand-mère Trompier-Gravier, alors ce n’est pas maintenant que je vais m’y mettre !
– En fait, c’était une citation de Proust, dont vous me disiez que vous l’aviez relu pendant le confinement… En l’occurrence, le narrateur pose la question à son ami Robert, qui lui répond un peu différemment, heu, je cite :
« Comment m’ennuyer, mais voyons ! joie ! pleurs de joie ! félicité inconnue ! »
– C’est justement ça qui m’énerve chez Proust, je m’en suis aperçue en le relisant, le côté grand tralala de ses formules : « joie, pleurs de joie, félicité inconnue ! » Il n’y a vraiment que lui pour inventer des formules aussi tarabiscotées ! Vous imaginez un auteur ou une autrice d’aujourd’hui qui mettrait ça dans son bouquin ? La volée de bois vert qu’il ou elle se prendrait de la part de Télérama ? Et ces phrases qui n’en finissent plus, ces madeleines trempées dans le thé tiède, ces jeunes filles en fleurs qui sont en fait de robustes gaillards et je ne sais quoi d’autre ! Pour tout vous dire, je l’ai relu par devoir, pas par plaisir, et j’aurais mieux fait de m’en passer – comme je me passerais de votre tutoiement ! gronda Chantal en saisissant fermement un nouveau macaron destiné à une fin atroce.
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