Il m’arrivait naguère de visionner quelques épisodes de téléréalité lorsque ce genre-poubelle initiait un nouveau concept pour voir jusqu’où pouvait se vider la vacuité. Je restais fasciné quelques heures, et puis je passai un cap de lassitude, redécouvrant à chaque fois avec le même étonnement blasé combien le néant, passée la première impression de vertige, est ennuyeux. Je ne prétends pas n’avoir que des loisirs haut-de-gamme, loin de là, mais quitte à se vider la tête, je préfère descendre une bouteille de vin d’Anjou en admirant la pluie couler sur les vitres que de m’abuser devant de tels spectacles. Ces visionnages ne furent pas complètement stériles puisque je retins cette déclaration d’une candidate qui répondait, à la question de son avenir, qu’elle verrait, une fois rendue célèbre, ce qu’elle choisirait comme carrière entre actrice ou chanteuse. Cette inversion totale de l’ordre des choses selon laquelle ce n’était plus un talent particulier qui attirait la célébrité, mais la célébrité autonomisée, acquise comme un chèque vierge, qui permettait de choisir le talent qu’on serait ensuite obligé de nous prêter pour justifier le fait qu’on nous adule, m’avait paru promise à un grand avenir.
« La confiscation des moyens de promotion par une petite caste parisienne consanguine ne leur pose aucun problème de conscience. »
Je n’aurais pas imaginé, cela dit, que cette logique gagnerait même le monde du livre où, semblait-il, un certain sérieux et une tradition solide paraissaient pouvoir faire barrage aux délitements du siècle. Mais voilà, la moitié des chanteurs (Rebeka Warrior en cette rentrée) et des acteurs sont aujourd’hui édités, et édités par de grandes maisons, tandis que les chroniqueurs ou animateurs de France Inter ou Quotidien (Panayotis Pascot, Nicolas Demorand, Ambre Chalumeau, Mahaut Drama, Paul Gasnier en cette rentrée), squattent tranquillement Saint-Germain-des-Prés avec pour argument principal de disposer d’un capital de visibilité très utile pour la promotion de leurs petits pâtés. Maintenant qu’ils sont connus, ils en profitent pour se donner le talent d’être écrivains, ce qui est plus prestigieux, il est vrai, que comique du fond du bus chez Yann Barthès ou animateur sentencieux d’une matinale. L’opportunisme paniqué des éditeurs parisiens fait le reste, l’autocollant « vu à la TV » semblant assurer des ventes minimales faciles et colmater les brèches sans qu’on ait à prendre les risques fastidieux qu’impliquerait le fait de défendre des œuvres véritables.
Tous ces littérateurs d’occasion sont évidemment de gauche, si ce n’est par pensée personnelle, du moins par réglage d’usine, mais visiblement, la concentration du capital médiatique au détriment des forçats du style ne heurte pas leur sensibilité sociale. La confiscation des moyens de promotion par une petite caste parisienne consanguine ne leur pose aucun problème de conscience. Ils pavanent sereinement sur leurs propres plateaux sans dénoncer cette obsession de la rentabilité rapide qui a encore déréglé un marché, poussant les éditeurs à sélectionner des vendeurs potentiels déjà munis d’un public captif plutôt que des artistes doués d’un talent singulier à qui il faudrait bâtir une audience. Mais à force de ce genre de facilités, le niveau baisse encore, demain le Goncourt pour Léa Salamé, Angèle ou Aya Nakamura ayant signé Dju dju, le récit de l’agonie de son hamster, et les ventes baisseront encore, leur ventilation par des artifices aussi précaires ayant peu de chance de les ressusciter.
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Plus l’art s’éloigne de l’artisanat, de sa dimension formelle concrète objective, plus il produit du fétichisme pur, vaporisé, et le miracle de la notoriété peut se confondre avec le miracle de la création, comme deux étrangetés arbitraires, dont l’absurdité est gage de magie. Mais ce n’est là que la magie des barbares. Nous qui sommes civilisés, nous ne croyons pas aux tautologies, mais à l’analyse implacable des objets et des faits. Il en ressort des miracles d’un autre ordre, agissants, persistants, et qui nous augmentent d’une manière plus tangible qu’un simple reflet spectral sur les écrans épileptiques. En cette rentrée plus artificielle que jamais, choisissez le substantiel, buvez du vin d’Anjou, brûlez les nouvelles idoles.
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