Avec une sélection finale qui redonnait espoir quant à la possibilité pour la nation française de prétendre à nouveau à l’hégémonie littéraire, le nom du vainqueur du grand prix littéraire de L’Incorrect défiait les pronostics. Mais c’est finalement le Lyonnais Fabio Viscogliosi, artiste polyvalent (on le connait aussi pour ses albums de bandes dessinées et sa musique) qui a remporté cette nouvelle distinction. Sans doute que le jury littéraire réuni par le magazine culturel corrosif cherchait lui-même à se distinguer avec un livre insolite à plus d’un titre. D’abord, parce qu’il s’agit d’un roman inventif et cocasse dans un temps où dominent les confessions acrimonieuses. Ensuite parce que son argument est pour le moins original : de jeunes chômeurs cambriolent une entreprise ayant humilié le narrateur et découvrent dans leur butin un assemblage de dessins de maîtres du XXe siècle supervisé par Marcel Duchamp, sans savoir si l’objet est authentique ni comment le revendre. Enfin parce qu’il combine le style et l’économie de moyens, l’humour et l’élégance, le délire et l’émotion dans un cadre peu visité par les littérateurs : le Lyon du début des années 80.

Chez Colette, rue Daguerre, dans un environnement chic et chaleureux, au milieu de l’avalanche de prix de la fin de l’automne, un jury baroque aura couronné un roman insolite gravitant autour d’un objet étrange.

Étienne-Alexandre Beauregard : un flamboyant homme des neiges
« Distinguer les hussards de la pensée, récompenser les talents libres, audacieux et irrévérencieux, qui ne s’enferment dans aucune chapelle et ne cèdent à aucun lieu commun idéologique. » Tel était le mot d’ordre des deux prix essais créés cette année par L’Incorrect pour intensifier sa guérilla contre le conformisme mondain et la politiquement correct qui étranglent la pensée contemporaine.

Pour le Prix essai jeune de l’année, le jury a porté la quasi-unanimité de ses voix sur le flamboyant québécois Étienne-Alexandre Beauregard, pour Anticivilisation – et c’est son compatriote Mathieu Bock-Côté, chargé de la remise du prix, qui en a fait une brève présentation à l’assemblée, arguant qu’il s’agissait là d’un ouvrage appelé à jouer un rôle important dans le renouveau du conservatisme en Occident, face à la déroute piteuse du progressisme. Beauregard étant retenu pour des raisons professionnelles dans les neiges de la Belle Province, c’est son éditrice qui est venue en son nom récupérer la récompense, et lire un texte de remerciement préparé à la hâte par le jeune essayiste, prévenu un peu plus tôt de son sacre.
L’optimisme de Chantal Delsol

Venait enfin le dernier prix de la soirée, qui récompensait l’essai de l’année. C’est la sémillante Eugénie Bastié qui avait la lourde tâche de le remettre et qui, par une éloquente démonstration, a montré combien Chantal Delsol, pour son essai Insurrection des particularités, avait mérité le plébiscite du jury. Ce prix venait distinguer non seulement un texte important dans la compréhension du monde actuel, à savoir la manière dont le souci de l’universel a été supplanté par le triomphe général des particularités, mais aussi une œuvre éminente et essentielle, sans égale pour ce qui concerne la critique de la modernité. La lauréate, dans une brève allocution, a appelé l’assemblée à ne pas céder au désespoir et a redit son optimise : nous assistons à l’avènement d’un deuxième Occident qui pourrait s’avérer aussi fécond que le précèdent.

Soirée torride avant l’hiver
Le public à la fois nombreux, varié et ébloui par tant de talent exposé, s’employa à descendre ensuite les nombreuses bouteilles et à augmenter la température de la salle. Des écrivains, des journalistes, des comédiens, des artistes, des éditeurs, des bienfaiteurs, des intellectuels plus ou moins en vue composaient cette foule avide de commenter les choix des jurys, l’état du monde et la robe des vins de bourgogne. Elle se dispersa lentement et ce n’est que peu après minuit que la rive gauche de la Seine retrouva son calme. Cependant, le rayonnement secret des gloires de l’esprit et du style semblait nimber Paris, cette nuit-là, d’un éclat plus vif.











