Avec Les Étendues imaginaires, le réalisateur Yeo Siew Hua nous offre une plongée lynchienne somptueuse dans la machinerie du « miracle » économique de Singapour. Nous l’avons rencontré avec l’actrice principale de son film, Luna Kwok, dans le salon d’un hôtel parisien, pour qu’ils éclairent ce songe fascinant.
Propos recueillis par Romaric Sangars et Arthur de Watrigant
Pouvez-vous résumer pour nos lecteurs la situation singulière de Singapour ?
Yeo Siew : Depuis cinquante ans, en raison du « miracle économique », Singapour est une île qui a accru sa superficie de 25 % en important du sable pour l’amasser sur ses côtes. En plus de cette expansion horizontale, Singapour s’est aussi élevé verticalement après avoir ravalé ses collines. Ces deux processus conjoints de transformation ont radicalement changé le paysage. J’ai toujours été fasciné par cette expansion, puis j’ai commencé à m’y intéresser de plus près et j’ai alors découvert que 99 % de ces changements dépendaient du travail des migrants, lesquels représentent aujourd’hui un habitant de Singapour sur quatre. L’île se métamorphose perpétuellement grâce à cette immigration qui demeure invisible pour la population native. Ce n’est pas tant que la société ferme les yeux sur cette « autre facette » de l’île qu’elle n’est jamais amenée à la voir.
Si votre film s’ancre dans un lieu très spécifique, il illustre des problématiques liées à la globalisation économique auxquelles nous sommes aujourd’hui tous confrontés…
YS : Singapour s’est toujours considéré comme un pays devant s’adapter au reste du monde et avec ce processus de modification permanente, il est obligé d’imaginer continuellement son industrie et sa démographie. C’est par ce besoin perpétuel de se réinventer que Singapour détruit son histoire. Moi-même, j’ai l’impression de vivre là-bas dans une espèce de rêve puisque lorsque je recherche des souvenirs dans les lieux de mon enfance, comme par exemple l’endroit de mon premier baiser, eh bien, ça n’existe plus! Or, quand je rencontrais des personnes migrantes pour préparer ce film, je me rendais compte qu’elles ressentaient la même chose que moi et quand je leur demandais de résumer leur expérience de Singapour, elles me répondaient très souvent que cela ressemblait à « un rêve ». Pas un rêve au sens heureux du terme, non, dans leur optique, il s’agissait plutôt d’une sorte d’hallucination collective. C’est cette réflexion qui est à la base des Étendues imaginaires. Après, pour la classe moyenne intégrée, Singapour peut aussi être considéré comme (….)
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