On imaginerait volontiers d’en faire une chanson populaire sur un air de Michel Polnareff :
« On ira chier sur Pierre Bergé, toi et moi!/ Avec les culs-de-jattes et les constipés, / Les nains, les obèses et les renfrognés !/Avec Frigide Barjot et même LGBT ! / On ira tous chier sur Pierre Bergé ! »
Quelle meilleure épitaphe pourrait-on trouver pour honorer le cadavre de ce Pécuchet vaniteux ? Qui nous vengera de ce promoteur de l’ubérisation des césariennes et des utérus? Une chanson enfantine, au moins, aurait le mérite et la grâce de réjouir les affligés sans atteindre l’intégrité d’une dépouille que trop d’éloges ridicules ont profanée. Et donnant à respecter les restes des morts comme ils le méritent, nous apprendrait à honorer le corps des vivants. Et cette revanche respectueuse ne serait que justice.
Mais cette douce consolation nous est interdite. On n’a pas le droit de « chier sur Pierre Bergé »–quand bien même on en resterait au projectif. Dieu nous protège de l’équité du Parlement : les marchands de foire de l’hémicycle s’avisent aujourd’hui de nous dire ce qu’on aurait le droit de chanter ! C’est dire la déchéance de la vie intellectuelle et artistique en France. Nous acceptons trop volontiers les modalités qui régissent la « no-propos zone » qu’ont instituée les mitres molles du politiquement correct, pour bannir toutes les grivoiseries, les grossièretés, pleines d’horreurs et de vérité, de hideur et de liberté, qui lèsent-majeste les dogmes sacrés de la bourgeoisie médiatique.
Et pourtant, ce n’est pas rendre justice à certains propos. À ces propos libérateurs, grivois, obstinés ! Qui disent que le roi est nu et que sa femme trousse des valets. Car, comme pour les vers de Baudelaire, les propos tiennent du plus beau style littéraire. Tenir des propos (« déraper », comme disent les jean-foutre en faisant des pas-de côté) est un art royal et consommé. Que l’on déguste aussi bien dans les alcôves que dans les apartés. Les maîtres du propos étourdissent le chaland et font l’admiration de l’esthète. Car celui qui tient des propos est à la fois Monarque, Cheikh, Juge et Pontife aztèque. Démiurge pittoresque et solitaire, le maître du propos réordonne le monde, dit sa vérité, lance ses excommunications et rend à nouveau l’univers intelligible. Il existe toutes sortes de propos. Des propos interdits et puis des propos acceptés. Des propos à voile et à moteur. Des propos de droite et des propos de gauche.
Et pourtant, comment pourrions-nous concilier à la fois la liberté d’expression et la nécessité de polir les discours ?
Et tous ces petits propos en prose mériteraient bien un recueil : « Il y en a trop »;« On n’est plus chez nous »;« Et pis, les bourgeois c’est tous des cochons »;« C’est la faute à Macron » ; « L’homme pue »;« De toute façon il est homosessuel et communisse »;« Avec tous ces hipsters et ces Chinois, c’est tous nos Auvergnats se sont faits grand-remplacer à Paris »;« Mais on sauvera le monde en se mettant en sarouel » ; « L’ENA c’est pour les cons » ; « Ta gueule la gouine ! Le docteur Petiot aurait voté Mélenchon » ;« Indignez-vous les gens !» ;« Euthanasiez les vieux ! » ; « Avortez la jeunesse ! » ;« On aura beau changer de sexe, ils trouveront toujours un moyen de nous enculer. »
Ces propos sont interdits. Et c’est sans doute à raison. Et pourtant, comment pourrions-nous concilier à la fois la liberté d’expression et la nécessité de polir les discours ? Au Moyen-Âge il existait des tavernes dans lesquelles il était tout à fait autorisé de s’ivrogner à plusieurs et de tenir les propos les plus grossiers, les plus infâmes et les plus orduriers. Cependant, on devait payer une amende. Chaque propos, insulte, ou juron était tarifé selon son importance. On en avait pour son argent ! Alors, c’est pourquoi je milite aujourd’hui pour ouvrir des bar-à- propos. Cela enrichirait l’État et les taverniers. Et tous ensemble, nous pourrions chier la bouche en cœur sur Pierre Bergé !