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Faut-il choisir entre défendre un vieillard pédophile revendiqué, ou rejoindre une meute vengeresse, virtuelle et anonyme ? L’analyse de l’affaire Matzneff par le directeur de rédaction de L’Incorrect.
Faut-il lyncher un vieillard de 83 ans ? La question n’est pas vaine ni rhétorique, et voilà une semaine qu’on se la pose à L’Incorrect. Elle n’est pas oiseuse parce que Gabriel Matzneff, puisque c’est de lui qu’il s’agit, on s’en doute, n’a jusque là – et étrangement si l’on considère comme véridique ce qu’il rapporte dans ses livres, plus : ce qui a fait la principale matière de ses livres – jamais été condamné en justice ni même été traîné devant un tribunal. Aussi, est-ce le temps maintenant de jeter à bas la répugnante statue que le satyre a patiemment élevée à sa propre gloire cinquante ans durant, avec la complicité, l’admiration, voire les encouragements de ses pairs en république des lettres ?
Reformulons la question : n’est-il pas d’une certaine façon trop tard pour attaquer Matzneff, son jour ayant baissé, ses forfaits ayant déjà été commis, et le monde éditorial, parfois politique même, étant mouillé dans cette affaire jusqu’à l’os ? Mais ces raisons ne plaident-elles pas tout au contraire pour un règlement de compte général, une grand nettoyage des écuries d’Augias ?
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La formidable machine #metoo porte ici encore l’un de ses fruits. On peut s’en réjouir en l’occurrence, et c’est ce que je fais personnellement. On peut aussi, et ce sont des interrogations légitimes, frémir devant la mécanique de lynchage général et perpétuel que cette machine porte au fond d’elle, où le dénonciateur d’hier sera le dénoncé de demain.
Mais enfin, essayons de replacer ce cas précis dans sa réalité : « que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre » ne fonctionne pas ici. Nous ne sommes pas en présence d’un immense auteur de livres érotiques quelconques ; mais à l’évidence d’un homme aux tendances et aux pratiques pédophiles assumées et transmuées en littérature, sans que celle-ci joue le rôle d’exutoire à fantasmes : bien au contraire les unes, ces pratiques perverses et répréhensibles, nourrissent l’autre, la « littérature », et inversement.
Le monde entier de Matzneff est ordonné autour de sa petite personne, sa seule existence le faisant jouir, banalité littéraire certes mais cette exaltation ne trouve jamais sa forme que dans la séduction des mêmes êtres, adolescents et adolescentes dont la première explosion de sève sexuelle lui est l’occasion de les inféoder et de les manipuler. Gageons que dans la conscience de M. Matzneff ne s’est jamais fait jour le moindre sentiment de culpabilité vis-à-vis de ces pratiques : sa psyché telle qu’elle se dévoile au cours de ses livres est elle-même si narcissiquement infantile qu’il doit préjuger d’une certaine égalité entre lui et ses proies, se prévalant seulement d’une certaine expérience et d’une certaine science qui sont les qualités requises pour accomplir son oeuvre, assez simplette, c’est-à-dire jouir et faire jouir. Ceci fait, M. Matzneff croit avoir non seulement fait progresser la littérature mondiale, mais en sus élevé des petites âmes hors de l’ennui bourgeois et du carcan familial.
La formidable machine #metoo porte ici encore l’un de ses fruits. On peut s’en réjouir en l’occurrence, et c’est ce que je fais personnellement. On peut aussi, et ce sont des interrogations légitimes, frémir devant la mécanique de lynchage général et perpétuel que cette machine porte au fond d’elle, où le dénonciateur d’hier sera le dénoncé de demain. Mais enfin, essayons de replacer ce cas précis dans sa réalité : « que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre » ne fonctionne pas ici.
Parlons-en d’ailleurs des familles de ses victimes : selon toute vraisemblance, M. Matzneff ne ressortit pas du format Fourniret, prédateur discret qui enlèverait des enfants au nez et à la barbe des adultes pour les torturer dans une cave. Non, c’est une séduction de salon qui requiert l’aval, au moins implicite, des parents des adolescents abusés. C’est une séduction de milieu, où tout porte à croire que les moeurs ont été à ce point altérées que ses opérations au grand jour ne choquent guère. Où le progressisme d’affranchissement perpétuel hérité des années 60 a pris et qu’il marqué de son sceau de licence.
En ce sens, Matzneff que certains croient l’héritier de Montherlant, seulement parce qu’il l’a radoté jusqu’à plus soif est le parangon de l’artiste postmoderne, au désir illimité que rien ne devrait entraver, et à la rhétorique palingénésique où il est suffisant de s’écrire écrivain pour le devenir et qu’ainsi toute « morale bourgeoise » cède le pas. En cela, Matzneff n’est l’héritier et le continuateur de rien, sinon des petits garçons colères et impérieux qui croient ordonner le monde à leurs pulsions. M. Matzneff est une racaille sous couverture blanche.
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Mais il faut revenir à la question précédente : que gagne-t-on à lyncher un vieillard ? Une époque peut-elle juger l’autre ? À cette dernière question, nous pouvons répondre oui, mais à quelques conditions. D’abord, que ce jugement soit réel et ne se résigne pas à tondre quelques boucs-émissaires au hasard, mais plonge son poignard lustral jusqu’au fond du problème, lequel est ici encore une fois l’amoralité du boomer. Jugement maintes fois porté mais qui semble n’avoir pas encore produit toute son efficace.
Ensuite, que notre époque accepte de se juger aussi elle-même, et maintenant, et pas dans trente ans quand il sera trop tard : à ce titre, en quoi est-elle légitime pour juger d’atteintes commises sur des mineurs sexuels il y a trente ans quand dans le même temps elle promeut le « changement de genre » chez des enfants du même âge qui seraient soudain assez responsables et conscients pour décider qui ils devraient devenir ?
Ainsi donc : non, il ne faut pas lyncher un vieillard de 83 ans, comme il ne faut lyncher personne de manière générale. Et il faut noter pour être juste que sa littérature a ses admirateurs qui n’y goûtent pas toujours d’abord la perversion, mais souvent certaine forme de style. Ce n’est pas interdit.
Cependant : il est temps d’en finir avec cette fake news jamais prouvée selon quoi « la-littérature-n’a-rien-à-voir-avec-la-morale ». Elle a au contraire tout à voir avec la morale : Ulysse rentrant chez lui a tout à voir avec la morale ; Dante parmi les ombres a tout à voir avec la morale ; Macbeth a tout à voir avec la morale ; Phèdre a tout à voir avec la morale ; Proust a tout à voir avec la morale.
Cependant : si les faits sont avérés, où est et où était la justice ? Cependant : que faire désormais de cette république des lettres qui s’est presque entièrement compromise avec M. Matzneff, et qui aujourd’hui tergiverse, tête basse et la queue entre les jambes ? Qui lui demandera des comptes ? Cependant : il est temps d’en finir avec cette fake news jamais prouvée selon quoi « la-littérature-n’a-rien-à-voir-avec-la-morale ». Elle a au contraire tout à voir avec la morale : Ulysse rentrant chez lui a tout à voir avec la morale ; Dante parmi les ombres a tout à voir avec la morale ; Macbeth a tout à voir avec la morale ; Phèdre a tout à voir avec la morale ; Proust a tout à voir avec la morale.
La littérature a tellement à voir avec la morale qu’elle est justement le lieu idéal d’affrontement des passions humaines, de leur résolution tragique ou non, de leur condamnation ou de leur exaltation. Mais elle n’est plus elle-même quand elle s’est résolue à n’être que l’étalage des pauvres fantasmes réalisés d’un vieil enfant malade de 83 ans.
Jacques de Guillebon
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