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Baron Noir est une série éducative. Elle constitue un accès privilégié aux coulisses de la vie politique que les Français ne connaissent, le plus souvent, que de loin.
« On n’a pas besoin d’un saint, on a besoin d’un chef », déclare en introduction l’antihéros Philippe Rickwaert (Kad Merad), ancien député du Nord déchu et cacique déchu du Parti socialiste. Il donne le ton d’un scénario intelligent, évitant la plupart des pièges propres au genre. Colorés, les personnages ne sont pourtant pas monolithiques, enfermés dans des représentations archétypiques de héros idéalistes ou de politiciens cyniques. À l’image de l’univers déployé depuis la première saison, ils sont réalistes, crédibles. Certains d’entre eux sont d’ailleurs plus vrais que nature, tel ce Michel Vidal (François Morel) qui ressemble trait pour trait à Jean-Luc Mélenchon, idéologue de gauche qui ne souhaite pas vraiment exercer le pouvoir, infatigable lutteur capable d’humilier ses proches en multipliant les citations de Jules Michelet et de Karl Marx.
La force de Baron Noir réside dans sa capacité à faire de l’actualité, et, plus généralement, de l’histoire récente, des ressorts narratifs puissants. Un exercice auquel les Américains sont rodés, malheureusement peu présent dans la fiction française. Ainsi, l’explosion des partis politiques traditionnels concurrencés par la création d’une force centrale sur le modèle d’En Marche, l’émergence d’un mouvement de gauche laïque dans l’esprit du Printemps Républicain en réaction au clientélisme communautaire de certains élus locaux, la lutte contre le terrorisme islamiste, les conflits entre l’Etat et l’Union européenne, les mouvements pro-vie, les tentatives d’union à gauche comme à droite de l’échiquier politique, ou les tractations mouvementées au sein de l’Assemblée nationale sont autant d’éléments au service d’un récit choral d’hommes et de femmes plongés dans un grand bain d’adrénaline, désireux du pouvoir pour eux-mêmes comme pour servir leurs convictions. Certains dialogues pourraient d’ailleurs servir de leçons à quelques membres de notre classe politique. Puisqu’ils ne lisent plus, autant qu’ils regardent une série récréative. Confer, par exemple, ce conseil de Philippe Rickwaert : « Trianguler c’est aller sur leurs thèmes, pas adopter leurs thèses ». Suivez mon doigt…
Contraint à agir dans l’ombre dès le début de la seconde saison, Philippe Rickwaert sent que son monde disparaît, que ce qu’il tenait pour acquis ne l’est plus depuis l’accession à la présidence de la femme qu’il aime, la socialiste Amélie Derondeu. Il vit de la politique pour la politique, pour le jeu, pour les manœuvres, sans oublier de servir un idéal populaire et proche du petit peuple de gauche, bien conscient des sacrifices que cela implique, tant sur le plan éthique que sur le plan personnel. Mais il n’est pas prêt à abandonner son parti, en l’occurrence le Parti socialiste. Ni à abandonner sa famille politique, la gauche. Pour Rickwaert, il est inenvisageable que le Parti socialiste soit l’allié du centre droit. Menacé par la justice, ne bénéficiant plus d’aucun mandat électif après les pertes de sa circonscription et de sa mairie, trahi par les siens, le Baron Noir ne peut que constater que son influence diminue. Il comprendra, trop tard, que l’union de la gauche est désormais impossible, que le Parti socialiste est coincée entre une aile gauchiste délirante, qu’incarne parfaitement le personnage d’Aurore Dupraz, une aile républicaine, qu’il a contribué à former en aidant son poulain Cédric Balsan, et une aile libérale que rien ne distingue du centre droit. La reconfiguration est alors inévitable.
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Amélie Derondeu, que Philippe Rickaert avait contribué à former, y a d’ailleurs puissamment contribué. Au contact du pouvoir, elle est devenue une véritable femme d’Etat, sorte d’Emmanuel Macron en jupon. Elle n’a plus besoin de personne pour asseoir son autorité, se jouant de la droite dure et du Front National comme de sa gauche, dont elle divorce sans hésitation. Le personnage, astre de cette seconde saison, s’affranchit même des contraintes du politiquement correct, à mesure que l’opinion évolue. Contrairement à ce que l’on pourrait d’ailleurs attendre d’une fiction Canal +, les indigénistes ont le mauvais rôle, dépeints en démagogues ayant perdu le contact avec le contenu profond de la République. L’ascension irrésistible du jeune Cédric Balsan, leur principal contradicteur, est particulièrement jouissive à suivre, notamment lorsqu’il reproche à un certain Hassan, âme damnée d’un maire clientéliste, de le fliquer après qu’il a manifesté son soutien à une institutrice agressée physiquement pour avoir donné des bonbons non halals à ses élèves : « votre truc c’est filer des subventions et des consignes de vote ! » Il finit par être traité de « facho de gauche » par les siens, puis agressé. Le parallèle avec Manuel Valls est assez saisissant.
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Au fond, la série ne présente que peu de différences avec notre réalité. Ah si, le Front national y enregistre un score de 47 % au second tour de l’élection présidentielle. Dirigé par un homme appelé Lionel Chalon, interprété de façon convaincante par Patrick Mille, le parti populiste est donc perçu comme une véritable menace. Et ce d’autant plus, que son dirigeant tend la main à une droite divisée, tout en sachant « trianguler » intelligemment quand le besoin s’en fait sentir. Autre différence, le Parti socialiste y est toujours vivant, possédant encore des attaches populaires et une relation avec la réalité sociologique nationale. Mais ces nuances ne sont pas dérangeantes, le scénario évitant la lourdeur de la démonstration. Du reste, le récit n’est pas au service d’une lourde démonstration politique, ce qui aurait été probablement imbitable. Dans l’ensemble, Baron Noir fait honneur à la production télévisuelle française, puisant le meilleur de la production anglo-saxonne sans la singer. Au chauvinisme étatsunien, Baron Noir privilégie la douce fierté française. Une réussite !
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