Skip to content

Benjamin Blanchard : « Plus que jamais, les chrétiens de Syrie doivent être soutenus »

Par

Publié le

11 décembre 2024

Partage

À peine la cathédrale Notre-Dame redevenue l’emblème planétaire d’une survivance salutaire du christianisme, que voilà une des communautés chrétiennes les plus fragiles à nouveau secouée par les vents de l’Histoire. En effet, pour les chrétiens de Syrie, la chute du régime de Bachar el-Assad et son remplacement par un état islamique, fût-il modéré comme se plaisent à le croire nos commentateurs les plus optimistes, aura vraisemblablement une portée toute différente. Quelques pistes avec le directeur général de SOS Chrétiens d’Orient, Benjamin Blanchard.
© DR

Quelles ont été les premières réactions des chrétiens de Syrie suite à la chute de Bachar el-Assad ?

Deux réactions principales. D’abord, une grande inquiétude parce que c’est un saut dans l’inconnu. Cela fait 53 ans que le même régime était en place, d’abord avec le père Hafez, puis avec le fils Bachar. Donc, forcément, la plupart des Syriens – chrétiens ou non d’ailleurs – n’ont connu que cela. C’est donc un vrai saut dans l’inconnu.

Cette inquiétude est évidemment largement renforcée par l’identité et le passé des nouveaux dirigeants, dont le profil jihadiste n’est pas fait pour rassurer. Loin de là… Al-Jolani, de son vrai nom Ahmed al-Sharaa, le chef du Hayat Tahrir al-Cham (HTC), est un vrai jihadiste. Il s’est battu en Irak, a été prisonnier, est devenu un proche du premier calife de l’organisation Etat islamique, a fondé la branche syrienne d’al-Qaïda – que l’on a connu sous le nom de Front al-Nostra – avant de la transformer en HTC et de se séparer d’al-Qaïda. Depuis 2016, il règne sur la province d’« Idlib », dont il a fait un mini califat et y fait régner – du moins jusqu’à ces derniers mois – la charia. Donc, on comprend et on partage cette inquiétude.

Mais à cette inquiétude, il faut ajouter qu’il y a aussi un infime espoir chez les Chrétiens, tout aussi surprenant que cela puisse paraitre. Il faut dire que depuis quelques années les Syriens avaient perdu tout espoir. La situation ne faisait qu’empirer d’année en années ; en Syrie, il n’y avait plus d’horizon, plus d’espoir d’un éventuel changement. Je lisais récemment, quelques jours avant la chute de Bachar el-Assad sur les réseaux sociaux d’un riche sunnite, favorable au gouvernement Assad le terrible aveu suivant : « nous n’avons plus rien à proposer à part le vide ». Dans la société syrienne, il n’y avait donc plus aucun espoir, y compris chez les élites. La seule porte de sortie, c’était de partir, de quitter la Syrie.

Avec le changement de régime, même s’il y a de très grandes inquiétudes, je le répète, il existe donc un infime – vraiment infime – espoir qu’il y ait un nouveau souffle pour le pays. Je parle avec des amis qui étaient en train de préparer leur départ en Europe et qui me disent : « Allez, on reporte ! Cette fois, on reporte notre départ, parce qu’on veut laisser une dernière chance à notre pays ; parce qu’il y a peut-être une petite fenêtre de tir, pour qu’enfin les choses s’améliorent. »

Peut-on craindre des représailles pour les chrétiens de Syrie, parce qu’ils étaient protégés par le régime d’Assad ?

Effectivement, sous le précédent gouvernement, il y avait une liberté religieuse assumée. Chacun pouvait pratiquer son culte et de manière publique. Ainsi, par exemple, durant la période de Noël, on pouvait voir des crèches, des sapins de Noël partout dans les villes, sur les ronds-points, dans les lieux publics… Les processions publiques étaient autorisées et chacun s’habillait comme il le souhaitait, notamment les femmes.

Pour l’instant, il n’y a pas d’acte du nouveau régime contre cette liberté de culte. Les messes n’ont pas cessé à Alep. Aussi, les chrétiens se disent : « Attendons de voir ; n’allons pas crier au loup avant qu’il soit là. » Nous aussi, qui sommes les relais, les voix des Chrétiens d’Orient, nous attendons de voir ce qui se passe.

Lire aussi : Benjamin Blanchard : « Les réfugiés ont avant tout besoin de lits, de nourriture, et de lait maternisé »

Le groupe jihadiste HTC, qui vient de prendre le pouvoir en Syrie, était déjà au pouvoir à Idlib, depuis 2016, province dans laquelle les jihadistes avaient été envoyés au lendemain de la libération d’Alep, fin 2015. Il est très intéressant de voir ce qui s’est passé dans cette province. En Syrie, début octobre, j’ai discuté avec des responsables chrétiens qui avaient été en poste dans cette région. Ils me disaient ceci : “C’est vrai que pendant des années, la situation était catastrophique. Le port du foulard était obligatoire pour nos femmes, les messes étaient suspendues, l’alcool interdit, il y avait beaucoup de restrictions. Mais depuis quelques mois – sans doute en préparation de l’offensive de ces derniers jours – tout s’est libéralisé à vitesse grand V. A tel point qu’aujourd’hui, on peut vivre tout à fait normalement et que des chrétiens veulent revenir dans leur village”. D’ailleurs, nous-mêmes, SOS Chrétiens d’Orient avons été sollicités par des paroisses pour participer à la reconstruction de maisons de chrétiens dans cette région contrôlée par le HTC. Croyez bien que nous étions les premiers surpris et d’autant plus que nous avions, depuis des années, les retours exactement inverses. Aussi, les chrétiens se donnent le droit d’espérer.

Quels sont les premiers retours des familles chrétiennes que vous suivez là-bas ?

Alep est déjà sous le nouveau régime depuis une douzaine de jours. Quand je prends des nouvelles de nos amis là-bas, ils me disent que la situation a été difficile pendant les deux premiers jours, avec des pillages et une ambiance insurrectionnelle. Mais depuis, l’ordre est revenu et, à l’heure où je vous parle, c’est presque comme avant. Pour eux, la vie quotidienne n’a pas vraiment changé – mis à part le fait qu’il semble y avoir davantage d’électricité.

Par contre, économiquement, c’est très difficile, notamment parce que la livre syrienne s’est effondrée. Elle a été divisée par trois. Les prix ont explosé. La situation économique est très difficile. A Damas, c’est différent. La révolution vient d’avoir lieu, et, à l’heure où je vous parle, l’ordre n’est pas encore rétabli. Il y a donc beaucoup d’inquiétude, de peur. Ajoutons que des vidéos circulent sur les réseaux sociaux, montrant des massacres d’alaouites (rappelons que Bachar el-Assad est alaouite). Si cela est confirmé, c’est très inquiétant. Plus que jamais, les chrétiens de Syrie doivent être soutenus.

Le principal risque pour les chrétiens, ce ne serait pas que les Turcs en profitent pour étendre leur pouvoir sur le Nord du pays ?

Je vois quatre dangers principaux pour la Syrie. Le premier, c’est bien sûr l’instauration d’un califat islamique. Avec tout ce que cela comporte… Je vous renvoie à ce que nous avons connu à Mossoul en Irak ou à Raqqa. Un califat islamique, c’est terrible ! C’est l’instauration de la charia, la loi islamique, c’est le statut de dhimmi pour les chrétiens, ce sont les persécutions contre les autres confessions musulmanes, etc.

Le deuxième risque que je vois pour la Syrie, c’est la situation économique désastreuse de la Syrie, avec notamment le maintien des sanctions internationales. Aussi, avec SOS Chrétiens d’Orient, nous appelons à la levée immédiate des sanctions, parce que cela tue le pays à petit feu et que ça provoque des vagues migratoires très importantes. Donc, il faut impérativement que ces sanctions s’arrêtent.

Le troisième danger qui guette la Syrie, c’est la poursuite de la guerre civile, notamment, dans le centre du pays, dans la ville de Deir ez-Zor, où la population arabe s’insurge contre la présence de forces kurdes qui occupent la ville depuis quelques jours. C’est une réelle inquiétude.

Enfin, le quatrième danger pour l’avenir de la Syrie, ce sont les occupations étrangères : turque au Nord – avec notamment la poursuite de la guerre contre les milices kurdes – et israélienne au Sud. Depuis deux jours, Israël bombarde tous azimuts, les troupes israéliennes au sol avancent au sud-ouest de la Syrie. Même lorsqu’Israël et la Turquie disent qu’ils respectent l’intégrité territoriale de la Syrie, on peut se permettre d’être inquiets malgré tout.

EN KIOSQUE

Découvrez le numéro du mois - 6,90€

Soutenez l’incorrect

faites un don et défiscalisez !

En passant par notre partenaire

Credofunding, vous pouvez obtenir une

réduction d’impôts de 66% du montant de

votre don.

Retrouvez l’incorrect sur les réseaux sociaux

Les autres articles recommandés pour vous​

Restez informé, inscrivez-vous à notre Newsletter

Pin It on Pinterest