On rend hommage à Molière, baptisé en janvier 1622, en cette année de ses quatre-cents hivers. De nos amis de Causeur à France 3, le dramaturge du roi soleil est remis sur son trône. Et c’est une idée facile que de défendre Molière, puisque personne n’est contre et que tout le monde l’a reconnu, ce pourquoi nous n’avions pas l’instinct de le faire ici, nous qui nous occupons de la guerre immédiate et préférions, en ces circonstances, nous pencher sur le cas Houellebecq, mais il s’agit néanmoins d’une belle idée, bien sûr, que nous sommes heureux de voir illustrée. Sauf que sur France 3 une séquence très gênante a été enregistrée et qu’elle mérite que nous y revenions pour être jugée dans ces pages. On y voit un afro-descendant (il le revendique comme identité première) au pseudonyme anglophone, Kery James (Alix Mathurin de son nom civil), revendiquer l’héritage de Molière et, à ce titre, improviser une espèce de slam passif-agressif face à Jacques Weber, notamment, un vieux comédien teigneux, buté, stupide, qui semble ému aux larmes devant la pathétique prestation du rappeur. Mais « c’est n’estimer à rien qu’estimer tout le monde », comme l’affirmait le misanthrope et comme le reprend Alix-Kery, qui s’estime lui-même beaucoup trop, si bien qu’on devrait en conclure du manque de jugement de Jacques Weber.
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« Je manie la langue de Molière et j’en maîtrise les lettres », affirme Kery-Alix et on croirait d’abord qu’il rend hommage à l’entreprise coloniale de la France sans laquelle il serait bien en peine de manier cette langue estimable entre toutes, mais non, l’ingrat débite bien vite les poncifs anti-français à la mode, comme quoi « le petit-fils de tirailleur sacrifié » ne se sentirait toujours pas français, oubliant que les tirailleurs n’ont pas été plus sacrifiés que les Angevins, que son père, au petit-fils du tirailleur, s’enorgueillissant de l’indépendance du Sénégal, ne se sent donc plus français, et qu’on a cultivé en lui-même une rancœur que Kery attise encore et qui représente la principale raison pour laquelle il ne se sent pas français, ce petit-fils. Sans doute convaincu que la contradiction est une figure de style, le rappeur renchérit, accusant le descendant de colon de se sentir « grand-remplacé », alors même qu’il se présente lui-même, membre de Mafia K’1 fry (mafia africaine) sur un plateau, comme l’indiscutable nouveau Molière, devant des vieux Blancs qui se pâment ou s’excusent, ce qui, pardonnez-nous, a tout de même un vague parfum de Grand Remplacement.
« En fait, les rappeurs, ce sont vraiment des amateurs ! » Voilà ce que déclarait dans une autre émission un autre afro-descendant, 26 ans, trois enfants, chauffeur Uber le jour, étudiant à l’aube, repassant le bac en candidat libre pour devenir médecin et s’étonnant de la « technicité » stylistique qu’il découvrait aux anciens poètes français au programme. Plus jeune, il avait écouté du rap, les rappeurs faisaient vaguement des rimes, des allitérations, voilà tout, et il se rendait compte maintenant, en comparant leurs textes à ceux de Racine et de Verlaine, de l’extrême précarité de leurs prétendues prouesses. Comme ce n’était plus un ado débile influencé par sa bande et qu’il était manifestement doué d’une sensibilité véritable, l’évidence du contraste l’avait frappé. En quoi ce jeune immigré courageux était plus lucide que le gros Weber venu conférer à Kery-Alix une légitimé usurpée en matière d’héritage. Car si Kery, c’est Molière, alors Macron c’est Bonaparte, et les nains continuent de jouer aux géants pour épater les myopes.
Plus jeune, il avait écouté du rap, les rappeurs faisaient vaguement des rimes, des allitérations, voilà tout, et il se rendait compte maintenant, en comparant leurs textes à ceux de Racine et de Verlaine, de l’extrême précarité de leurs prétendues prouesses
En outre, il est encore assez contradictoire qu’Alix Mathurin se revendique de Molière, lui qui, en se faisant appeler « Kery James », affiche clairement à quel impérialisme culturel il a voulu se soumettre. Jacques Weber, toute brute communiste qu’il soit, s’est lui aussi laissé séduire par le pouvoir diffus de l’Amérique, puisqu’il aura donné à ses enfants, Tommy et Stanley, des prénoms de feuilleton bas-de-gamme produits outre-Atlantique. Or, et c’est là que cet imbroglio culturel est intéressant, ce qu’ignorent ces amuseurs publics, c’est que Molière a justement été une arme de prédilection de Louis XIV pour imposer son propre « soft power ». En promouvant son théâtre dans toutes les régions d’un royaume dont l’unité linguistique était encore à parfaire, Louis le Grand décida de diffuser le français par Molière. Ce qui a un peu plus d’allure que d’imposer le « gender » par Netflix.
C’est en ce sens-là que nous rendrons pour notre part hommage à notre plus grand dramaturge, en soutenant franchement la cause d’un impérialisme culturel français qui se distingue de l’américain notamment parce qu’il est fondé sur l’excellence plutôt que sur l’effet de masse. Il est vrai que nous n’avons pas songé à convoquer Kery Jacques et James Weber pour soutenir ce programme.