« Qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui ? » demandent les Psaumes, et Job aussi avec eux. C’est étrangement à mesure que l’homme sait, et se sait, et se sait être, qu’il ne sait plus. Le seul être conscient ne sait pas qui il est. Étonnant constat, et ce n’est pas Descartes qui nous en sauvera. C’est pourquoi, malgré tous les discours conservateurs, il faut déconstruire.
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Déconstruire l’homme – qui est une femme, un jaune, un trans, une grosse, un vieux – qui croit enfin savoir qui il est depuis trente ans, et réclame la reconnaissance de son identité, fruit de son choix, comme s’il avait enfin atteint une essence certaine et définissable. Ne nous méprenons pas : il n’y a pas de femme, seulement une porteuse de parole féministe, ou un truc à vulve ; il n’y a pas de race, seulement des personnes racisées, etc. Il y a, comme le démontraient déjà en 1994 Paul R. Gross et Norman Lewitt, dans Superstition supérieure – suivis par Sokal et Bricmont, et combien d’autres depuis – uniquement un discours de domination qui assigne et réassigne à son gré, accuse et excuse selon son bon plaisir, affranchi de toute obligation rationnelle, logique, scientifique, expérimentale. La racine de ce discours est insaisissable, comme le diable, bien sûr. Pourtant il existe, dispose de nombreux prophètes, donc d’adeptes, et parle à travers eux. Mais il demeure faible et ne fonctionne qu’en tant qu’on lui prête l’oreille. Or, on ne lui prête l’oreille que parce qu’on n’a rien d’autre à dire, et que cela occupe une fréquence de l’univers. L’homme aime que les fréquences soient occupées.
Pour le reste, si on réfléchit un peu, on a d’autres choses autrement supérieures à dire. Il y a tant à déconstruire vraiment, surtout si l’on est chrétien. Le chrétien sait une chose profonde, et je vais vous la révéler même si c’est ésotérique : c’est qu’il faut passer à travers ce monde en faisant semblant. Plus précisément en simulant, ce qui veut dire à la fois se faire passer pour, ressembler à, être comme et ne pas l’être évidemment. Il y a donc deux termes opposés dans la mimésis, telles que Platon et Aristote l’ont définie comme la base de la culture humaine par nature, qui est notamment à l’origine de tous les arts (Aristote : « Nous prenons plaisir à contempler les images les plus exactes de choses dont la vue nous est pénible dans la réalité, comme les formes d’animaux les plus méprisés et des cadavres » – on appelle ça la tragédie ou la télé) ; et son inverse, mimer les gestes et les pensées et les actes des petits hommes comme un enfant mime les adultes, pour s’en garder et s’en détacher et non pour souhaiter le devenir. Ressembler pour ne pas s’assimiler.
Il n’y a pas de dominés et de dominants, seulement des sauvés et des damnés qu’aucune caractéristique sociale, raciale, ni sexuelle ne distingue
C’est ainsi que nous passons comme des fantômes dans ce monde, indécelables parce que nous nous battrons comme des lions pour une patrie qui au fond n’est pas la nôtre ; parce que nous travaillerons à produire une richesse dont nous ne profiterons pas ; parce que nous aimerons les yeux fixés vers le paradis.
De là, on peut déconstruire jusqu’à l’os : non, il n’y a pas de famille qui tienne, pas de couple, pas de sexe, pas de genre, pas de patrie, pas d’humanité. Il n’y a que de la joie indescriptible et de la liberté absolue. Il n’y a pas de dominés et de dominants, seulement des sauvés et des damnés qu’aucune caractéristique sociale, raciale, ni sexuelle ne distingue. Il n’y a pas de vengeance, ni de justice.
Et cela personne ne nous l’imposera. Ni le fisc, ni la police, ni twitter, ni même Sandrine Rousseau. Nous passons comme des fantômes qui font semblant de tout, sauf d’aimer.
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