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Éditorial de Romaric Sangars : Aux agents du pouvoir culturel

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Publié le

5 juillet 2024

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« Couper les subventions, ce n’est pas abattre l’art, mais assécher la propagande. » Éditorial culture du numéro 77.

L’art est en danger, oui, il est piétiné, embrigadé, réduit, édulcoré, et de plus en plus incompris. Oh, pas seulement par la loi du Marché et l’impérialisme du divertissement mondial plus que jamais nécessaire pour détourner les masses hébétées et sans dieu de l’idée de leur mort prochaine. À la limite, ni Guillaume Musso ni les licences Marvel n’ont de prétention de se prendre pour des « phares » baudelairiens, tout juste à égayer la brume. Non, cela n’est pas si dramatique. Mais la contrefaçon, mais le délitement des sommets, mais l’usurpation de la grandeur par des esprits médiocres: voilà qui est impardonnable. Tout le cirque parodique du mois écoulé, ce bégaiement à l’agonie des mythologies du XXe siècle, a été l’occasion pour les « acteurs du monde de la culture », soit les agents d’ambiance du progressisme dégénératif, de se fendre de déclarations qui seraient risibles si elles ne témoignaient pas de la dégradation sidérante du niveau intellectuel au sein des milieux culturels français, pourtant subventionnés comme jamais. Il n’y a qu’à voir la tribune publiée par Le Monde le 23 juin, par des « professionnels de la culture » et dont chaque phrase est une insulte à l’intelligence.

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« À quoi sert la culture sous un régime démocratique? » commence ce texte signé par 800 intermittents du spectacle s’arrogeant présomptueusement une autorité morale. Rien que cet incipit est à vomir. La culture n’est au service d’aucun régime, fût-il démocratique. La vraie culture est un « moyen raffiné de comprendre et d’exercer la vie » comme le déclarait Antonin Artaud, un moyen qui ne cherche pas le consensus social, voire qui le rompt. « Exprimer des points de vue différents, à l’infini, sur la nature humaine, sur notre monde, sur notre société », allèguent encore ces imbéciles, comme si la culture était un réservoir d’opinions singulières, une batterie de petites idées les plus diversifiées possibles et comme si l’on pouvait trouver chez eux ne serait-ce qu’une seule opinion singulière! Et comme si confrontés à une réelle diversité d’opinions ils ne succomberaient pas aussitôt à une crise d’apoplexie: « Quoi? Vous croyez à la différence homme-femme? Aux classes de niveau? Au bénéfice symbolique de la peine de mort? » Pas sûr qu’ils s’éclatent très longtemps.

« En démocratie, la pensée et la culture sont indépendantes, aucun courant politique, idéologique ne tentant de les canaliser » osent-ils affirmer, alors qu’il est à peu près impossible, dans leur milieu, de faire un pas hors du sentier progressiste obligatoire sans se faire aussitôt dénoncer, calomnier, condamner, retirer des librairies, écarteler en place publique, noyer sous les crachats. « La diversité et l’indépendance enrichissent le libre arbitre et rendent passionnant le vivre-ensemble. » est une phrase visiblement écrite en belge (en quoi un « libre arbitre » peut-il être enrichi? Éclairé, à la limite), en quoi l’art rendrait-il passionnant le vivre-ensemble, l’art qui corrode justement la farce sociale, creuse les singularités, et a consumé tant d’inadaptés sublimes. « La culture voyage librement dans le passé et dans le présent »: mais qui a pondu ce putain de torchon? La « culture » est donc une dame qui voyage, personnification hasardeuse, mais surtout ce n’est pas elle qui voyage mais celui qui s’y confronte, à travers elle, et qui découvre éventuellement des beautés anciennes, lesquelles relèvent d’une civilisation particulière, un héritage assumé, tout ce que la gauche déteste et rêve systématiquement d’abolir.

L’enrégimentement idéologique est une dénaturation de la puissance créatrice

Après la « culture », ce sont les créateurs qui, mobiles, seraient « libres de traverser, sans barrières, tous les territoires de la création »: on patine surtout dans la rédaction de CM2. « À quoi sert la culture sous un régime totalitaire? À devenir un outil de propagande. » nous alerte-t-on. La culture « sert donc à devenir », c’est d’un français toujours aussi charmant. Un outil de propagande? Vous voulez dire comme les séries Netflix, comme les paroles des chansons d’Angèle, comme les monologues des humoristes de France Inter? Tout ce catéchisme idiot de matérialistes binaires shootés aux utopies frelatées dont m’a à jamais guéri la lecture de Baudelaire et Dostoïevski. Je résume la suite, en gros, ils ont peur pour leurs subventions et se drapent derrière le prestige français et les Lumières. Les Lumières, si on est sérieux, impliquent néanmoins une vision du monde, que je ne partage pas, mais qui est foutrement islamophobe, hiérarchisante et eurocentrée. Complètement dépassée, d’ailleurs, à mon avis, parce que réductrice, rationaliste et bêtement optimiste. Mais ce n’est pas le sujet. Je trouve juste que la corrélation qu’ils insinuent entre le rayonnement de la culture nationale et les sous qu’on leur donne est un peu hâtive et que les arguments qu’ils emploient montrent justement une ignorance totale de ce qu’est la culture. C’est pourquoi la situation est en effet très inquiétante, mais pas pour les raisons avancées.

Il y a un autre point sur lequel je pourrais les rejoindre, c’est comment l’enrégimentement idéologique est une dénaturation de la puissance créatrice. Il pourrit aujourd’hui la plupart des productions audio-visuelles et théâtrales dans lesquelles, précisément, ces signataires se commettent. Si bien que leur couper les subventions, ce n’est pas abattre l’art, mais assécher la propagande. Et l’on ne peut qu’espérer qu’un vrai mécénat, demain, se substitue à ce détournement des finances publiques, et puis tant qu’à faire, que les prochains pétitionnaires qui osent se réclamer du génie français auront appris, entretemps, à écrire dans cette langue.


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