Le populisme – l’empoisonnement du peuple par son propre poison, mais pas selon ses propres moyens, en quoi il est une tyrannie. Voilà la définition minimale que nous pouvons donner du populisme, celle qui le contient tout entier et qui fait que tout ce que nous pourrions ajouter d’autre à son propos relèverait de l’accidentel et non de la cause, parmi quoi le juste constat d’un peuple qu’il importe de ne pas nier. Ça et quelques autres attributs à part, reste le curare d’une idée qui refuse au peuple la possibilité d’être gouverné par un principe plus grand que lui, une idée qui lui ment en lui faisant croire qu’il peut se déterminer lui-même et lui seul, et qui réclame comme à chaque fois le mensonge et un menteur auquel il profite.
Car on ne sache pas que le peuple existe de manière suffisamment homogène pour qu’on parvienne à lui reconnaître une expression univoque ni qu’il soit si cohérent qu’il puisse inventer une politique susceptible de refonder ou d’arranger quoi que ce soit. Un Gilet jaune le ventre plein, voici un électeur de Mitterrand, et un bobo dans son oasis étanche au fracas multiraciste de la société métissée qu’il vante, c’est toujours le peuple. Aucun des deux n’est plus ni moins légitime, aucun des deux ne vaut mieux ni n’est pire que l’autre. Et s’ils sont chacun le peuple, c’est que le peuple est informe à l’intérieur de la forme que l’histoire lui donne, changeant et qu’il passe sans cesser d’exister, certes, mais sans qu’il gagne à ce que l’on s’appuie sur lui.
Un Gilet jaune le ventre plein, voici un électeur de Mitterrand, et un bobo dans son oasis étanche au fracas multiraciste de la société métissée qu’il vante, c’est toujours le peuple
On comprend alors la tentation totalitaire de le reformater, de fabriquer le peuple afin qu’il puisse être digne de lui-même et nous sauver. Mais, le totalitarisme, au fond, raffine le populisme, l’arrange et propose une technique d’arraisonnement du peuple qui n’en modifie jamais la solution puisque celui-ci demeure le principe axial de cette tyrannie qui ajoute au peuple l’Idée du peuple afin d’en faire une espèce de Golem capable de s’animer sans aleph. Moins invasive, néanmoins capable d’accoucher mille monstres, la démocratie moderne repose elle aussi sur un peuple principiel qu’elle entend éduquer pour qu’il s’élève à la maturité censée garantir son autonomie.
Or, c’est prendre le problème trop tard que de vouloir éduquer le prince lorsqu’il est déjà au pouvoir et, plus grave encore, d’éduquer le prince pour qu’il se gouverne lui-même puisqu’un prince gouverne des sujets dont il se distingue et qu’il sert parce qu’il les domine. C’est, par ailleurs, une mauvaise compréhension de l’éducation de penser qu’elle libère – elle humilie, elle nous fait serviteur, elle fait du maître l’obligé de son élève et de l’élève un élève, non pas un homme bêtement libre.
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En d’autres termes, le populisme a tout à voir avec le funeste pédagogisme, tant décrié pourtant, et qui produit des citoyens ravis d’être leur propre esclave, des petits appétits sur pattes auxquels on n’a jamais mis aucune limite et qui comme tous les enfants maltraités deviennent les prisonniers d’eux-mêmes. Cependant, ne nous y trompons pas : un enfant-roi ne se sacre pas tout seul et c’est parce que ses parents ont trouvé plus commode de ne pas tenir leur rôle qu’il devient le souverain de rien, esclave de tout. Les tenants du populisme, qui prétendent rendre au peuple sa dignité, feraient bien de méditer la leçon et de cesser de prendre le peuple pour la mesure de toutes choses en politique, de cesser de le flatter comme on s’attire les grâces d’un enfant turbulent, ou alors d’avouer une fois pour toutes qu’ils conspirent contre l’enfance, qu’ils mentent éhontément au peuple et qu’ils se rêvent les tyrans d’une génération, comme leurs pères avant eux, et comme ce sera le cas à chaque fois qu’on refusera d’éduquer le peuple, non pas pour l’autonomiser, mais afin de pouvoir le diriger.