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Éditorial monde d’octobre : God Save the Queen

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Publié le

4 octobre 2022

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Le numéro 57 est disponible depuis ce matin en kiosque, par abonnement, et à la demande sur notre site. Voici l’éditorial monde, par Laurent Gayard.
Elisabeth

The Queen is dead. Il aura fallu trente-six ans pour que la prophétie des Smiths se réalise et l’inoxydable Élisabeth II a déjà enterré depuis bien longtemps le groupe de Steven Morrissey et Johnny Marr. À l’époque de cet album au titre irrévérencieux, Élisabeth II était déjà montée depuis trente ans sur le trône. Elle s’était déjà fait copieusement insulter par les Sex Pistols dix ans auparavant mais pourquoi se soucier des gesticulations de quelques punks mal embouchés quand on a personnellement connu Winston Churchill ? Quand la reine s’est éteinte, elle avait vu défiler quinze premiers ministres au cours d’un règne plus long que celui de la reine Victoria, mais de deux petites années plus court que le « Roi-soleil ».

Baignées pendant vingt ans dans l’illusion de la « fin de l’histoire », les opinions publiques elles aussi ont perdu la conscience de la fragilité de leurs systèmes démocratiques face aux systèmes autoritaires

À côté d’Élisabeth II, les vingt-deux années de présidence de Vladimir Poutine ou les trente années au pouvoir d’Ali Khamenei, Guide suprême de l’Iran, font pâle figure. Les commentaires des médias montrent à quel point cette reine, qui aura traversé la guerre froide du début à la fin, a pu devenir la vivante allégorie de la stabilité, pour les Britanniques bien sûr, mais aussi aux yeux d’une partie des habitants du Commonwealth, ainsi que des voisins européens du Royaume-Uni. La mort d’Élisabeth est devenue le symbole définitif d’un changement d’époque et de l’avènement d’une ère d’incertitude. Élisabeth II tire sa révérence alors que la dégradation de la géopolitique mondiale achève de tourner en ridicule la thèse de la fin de l’histoire, formulée dans l’euphorie naïve des années 1990. Comme le note Thérèse Delpech, dans un magnifique ouvrage simplement intitulé L’Ensauvagement, on a considéré à tort que la guerre froide avait représenté une troisième guerre mondiale et l’on persiste dans cette erreur parce que nous sommes incapables « d’avoir une idée de la violence sans limites que cette guerre aurait libérée si elle avait vu le jour ».

Le fait que la troisième guerre mondiale ait pu effectivement être évitée a dispensé une partie de nos élites politiques et intellectuelles de produire une pensée politique et stratégique cohérente. On citera l’exemple d’un certain François Fillon, avocat convaincu de la réintégration de la France dans l’OTAN sous Nicolas Sarkozy, ardent défenseur, dix ans plus tard, de la politique du Kremlin, lors de la présidentielle de 2017. Baignées pendant vingt ans dans l’illusion de la « fin de l’histoire », les opinions publiques elles aussi ont perdu la conscience de la fragilité de leurs systèmes démocratiques face aux systèmes autoritaires. Elles ont été encouragées en cela par les poses révolutionnaires volontiers adoptées et relayées sur les réseaux sociaux par telle ou telle figure intellectuelle ou médiatique, visiblement peu consciente qu’à un moment historique donné, les mots reprennent leur sens et que le règne de l’image n’efface pas le goût du sang.

Lire aussi : Éditorial monde de septembre : Renaissance des frontières

Voilà ce moment historique venu. La mort d’Élisabeth II achève symboliquement le XXè siècle et l’annonce de la mobilisation russe deux semaines plus tard ouvre plus certainement encore le XXIè siècle. Dans son discours du 21 septembre, Vladimir Poutine a désigné très clairement son ennemi : l’« occident collectif » [kollektivniy Zapad], adversaire multiple et protéiforme, menace idéologique et existentielle. Finis les détours et artifices rhétoriques. Le vocabulaire est désormais celui de Staline lors de la Grande Guerre Patriotique : Poutine évoque « nos frères et nos sœurs du Donbass » et lance un avertissement très clair : la défense des territoires nouvellement annexés par voie de référendum justifie non seulement la conscription nationale mais aussi l’emploi de « tous les moyens » pour assurer leur défense. Il y a un peu plus d’un mois, Alain de Benoist évoquait à la fois l’attentat au couteau le 12 août contre Salman Rushdie et l’assassinat de Darya Douguine, fille de l’eurasiste russe Alexandre Douguine, tuée dans un attentat à la voiture piégée le 20 août dans la banlieue de Moscou : « Un jour, c’est Rushdie, un autre c’est Douguine. La question, c’est : qui sera le prochain ? » L’escalade à laquelle se livre Vladimir Poutine apporte à cette étrange question une réponse aussi terrible qu’évidente. À qui le tour ? À tout le monde. Car si quelqu’un en doutait déjà, personne ne peut désormais se dire à l’abri des conséquences imprévisibles de la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine le 24 février dernier.

Élisabeth II a décidément choisi le bon moment pour tirer sa révérence. God Save the Queen ! Et nous avec.


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