Les chaussures de sécurité sont conçues pour protéger les pieds et les chevilles. Elles sont pourvues de coques contre les risques d’écrasement et de semelles contre la perforation. Les premières chaussures avec coques en acier de protection sont apparues il y a un siècle. Au XIXe siècle, la révolution industrielle provoque un exode des campagnes vers les villes, et les premiers ouvriers sont des paysans qui sont équipés de sabots. Ces derniers protègent les pieds des fermiers contre les risques d’écrasement par les vaches et les chevaux. Mais les sabots ne sont pas adaptés au monde industriel. Les accidents de travail se multiplient et révoltent les ouvriers. Face à ces drames, les dirigeants remplacent cette main-d’œuvre à bas prix au lieu d’investir pour la protéger. L’absence de considération nourrit la révolte. Les conflits sociaux éclatent, les ouvriers jettent leurs sabots sur les machines afin de stopper la production. Le « sabotage » est né.
Les chaussures de sécurité se répandent après la Seconde guerre mondiale. À l’origine conçues pour les travailleurs, elles sont détournées dans les années 70 et 80 par la culture alternative punk. Dans les années 90, l’entreprise de travaux publics Caterpillar devient la marque emblématique des rappeurs. Manufacturier de bulldozers et de pelles mécaniques, Caterpillar produit aussi des chaussures de travail. Ces « Walking Machines » aux allures de bulldozers (cuir épais, grosses coutures apparentes) séduisent une génération en quête d’authenticité.
Au début des années 90, l’attrait pour les vêtements de sécurité et de travail (Workwear) correspond au dégoût qu’inspirent les années 80. Les années fric, celles de la publicité et de la spéculation apparaissent superficielles et bavardes. La jeunesse se tourne alors vers de nouveaux héros : des hommes qui bravent les éléments équipés de vêtements de sécurité. Des hommes robustes et honnêtes.
Ces « Walking Machines » aux allures de bulldozers (cuir épais, grosses coutures apparentes) séduisent une génération en quête d’authenticité
Notre temps bavard et superficiel s’apparente à la décennie 80, où le manque de sens mine les esprits. Symptôme de cette crise, le rejet des « emplois à la con » (les « bullshit jobs »), ces métiers qui ne servent à rien, qui ne produisent rien. Des métiers dans le marketing ou le digital que l’on peine à définir en une phrase.
Les reconversions vers des métiers concrets se multiplient : un graphiste devient boulanger, un banquier se destine à la boucherie. Déçus par le monde du travail, des milliers de jeunes diplômés se tournent vers des métiers manuels.
Il existe donc une véritable opportunité pour l’industrie et l’artisanat. Pour ce faire, il faut parler de manière décalée. Le succès de la firme américaine Carterpillar réside ainsi dans une communication nouvelle : elle cesse de s’adresser à un public strictement professionnel, comme le conducteur d’engin ou le manutentionnaire. Mieux, elle considère que le conducteur d’engin n’est pas uniquement conducteur. Il est aussi un consommateur comme les autres. Les cloisons entre le monde personnel et le monde du travail explosent. L’émotion, la beauté, le confort, doivent être pris en compte par le monde du travail.
Cette évolution des mentalités s’exprime déjà chez les fabricants de chaussures de sécurité. Le soulier à l’ancienne, lourd et rigide est rem- placé par une chaussure qui s’inspire des tennis (sneakers). Plus légère, la chaussure de sécurité intègre les codes de la mode. L’allure est plus contemporaine, les couleurs sont multiples. L’influence des femmes est notable dans ce changement. Dans le secteur industriel, elles représentent aujourd’hui 13 % contre 8 % en 1999.
Il existe donc un vrai dilemme entre les contraintes techniques et les désirs impérieux du consommateur. L’utilisateur de chaussures de sécurité souhaite soigner son image chez lui comme au travail
L’artisan, l’ouvrier ou le cadre veulent travailler dans un confort identique à celui qu’ils connaissent chez eux. Pour répondre à ce désir, les fabricants de chaussures de sécurité se sont tournés vers de nouveaux matériaux. Les embouts protecteurs, autrefois en acier, ont été remplacés par de la fibre de verre ou du carbone. « Il existe une vraie opposition entre le désir des consommateurs et l’évolution des normes de sécurité » explique Jérémie Bernard, responsable marketing de la société S.24. Cette maison familiale de trente salariés est située en Dordogne. « Les normes ont tendance en Europe à se durcir. Accroître la résistance d’une semelle à la perforation des clous s’oppose au désir de souplesse des consommateurs [...]».
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