Il ne s’agit pas de réduire l’entreprise capitaliste à un système totalitaire. Il s’agit d’envisager la possibilité de saisir, au-delà des systèmes idéologiques, au-delà des différences évidentes, une matrice commune à ces deux configurations: l’entreprise capitaliste post-moderne et l’industrie d’extermination. S’agit-il donc de dire que les nouveaux managers sont des officiers SS ?
Une telle question frôle la profanation tant elle induit la banalisation du crime. Car si mes patrons peuvent être comparés sans autre forme de procès à des nazis, c’est que les nazis sont finalement des êtres quelconque. Mais là, les termes bien connus du débat se retournent comme il convient : car si les nazis sont des « in-hommes », alors le nazisme ne me dit rien de l’humanité, rien de la société contemporaine, rien de moi. Ce qu’il me reste alors à méditer et à déplorer est le seul destin de ses victimes. Or s’il faut faire mémoire, n’est-ce pas d’abord pour que cela ne réapparaisse pas ? Ce qui sous-entend que les conditions ayant rendu possibles certains aspects du nazisme, elles, sont peut-être encore présentes. Bref, comparer mes patrons aux nazis, c’est au premier abord débile, mais cela ouvre peut-être une piste féconde. Hypothèse à envisager. Question à poser. Car ce qu’il y a d’horrible dans le nazisme, c’est justement le caractère aseptisé du crime. L’éclaboussante énormité de la tuerie (six millions de juifs, sans parler des autres) n’est que la conséquence de sa rationalisation, de son caractère systématique.
Ainsi le rapprochement entreprise post-moderne / nazisme par son caractère apparemment outrancier cache bien son jeu, plein de finesse : révéler que le nazisme dans ce qu’il a de plus caricatural permet d’entrapercevoir une pente fondamentale de notre monde contemporain, issu pourtant de la victoire sur le totalitarisme. Le dépassement du totalitarisme révèle en deçà ce qui n’a toujours pas été dépassé : le nihilisme.
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