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Le petit Grégory : un drame dans la France d’autrefois et d’aujourd’hui

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Publié le

28 novembre 2019

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« J’espère que tu mourras de chagrin le chef. Ce n’est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance, pauvre con » ; écrivit le tristement célèbre corbeau à Jean-Marie Villemin le jour même où son fils Grégory était retrouvé noyé dans la Vologne, le visage étrangement apaisé, comme si son supplice était arrivé à son terme. Attaché par des cordelettes qui lui liaient les poings et les pieds, le garçonnet se trouva pour son malheur au cœur d’une ignoble querelle locale et familiale.

 

Miroir de tous nos travers, le cas du petit Grégory aura montré un bien vilain visage de la France : celui de ces haines recuites et de ces jalousies si destructrices. À ce titre, le documentaire en cinq parties consacré à l’affaire par Netflix est un document historique et social de premier ordre. Relatant presque exhaustivement les trente-cinq années de ce feuilleton judiciaire, policier et médiatique, les cinq films n’évitent aucun détail et interrogent la plupart des acteurs indirects de l’affaire. Eux-aussi ont été divisés en plusieurs clans rivaux, à l’image des Vosgiens : les pro-Villemin et les pro-Laroche. Un enfant a-t-il été tué pour une différence de salaire de 300 francs et un canapé en cuir ? Y-a-t-il eu un ou plusieurs assassins ? Etaient-ils des très proches de Jean-Marie Villemin, des membres de sa famille ? Autant de questions restant actuellement toujours en suspens, en dépit de tout.

 

Bande annonce du documentaire produit par Netflix sur l’affaire Grégory

 

L’affaire Grégory a été d’une cruauté sans nom pour les parents. Harcelés depuis des années par un mystérieux corbeau, manifestement jaloux de la réussite professionnelle et personnelle de Jean-Marie, les époux Villemin n’avaient plus eu de nouvelles du lâche individu depuis plusieurs mois avant le meurtre de leur fils Grégory. Dans ses missives et ses appels téléphoniques, le « corbeau » fait la démonstration de son aigreur en traitant Jean-Marie Villemin de « petit chef » et en paraissant obsédé par sa relative aisance matérielle.

L’arrogance et l’incompétence du « petit juge » Lambert influençable – depuis suicidé – ont eu raison de l’enquête.

Le registre du « traitre de classe » est convoqué, sans oublier celui des sordides histoires familiales. Jean-Marie Villemin était perçu comme un lâcheur de la classe ouvrière locale, un allié des patrons vendu pour s’acheter une chaîne hi-fi, une deuxième voiture ou une maison neuve. Crime suprême, le nouvellement nommé contremaître avait refusé de reprendre une carte de la CGT, alors même que le beau-père de son demi-frère Jacky était délégué au sein de l’entreprise et que Bernard Laroche lui-aussi nommé contremaître quelques années plus tard était resté syndiqué !

 

Les gendarmes l’ont d’ailleurs très vite compris, centrant leurs recherches sur le cercle familial le plus proche. Très vite, leurs soupçons furent confirmés lorsque Muriel Bolle, jeune belle-sœur fruste et fière de Bernard Laroche, vendit la mèche. Malheureusement, elle se dédit et n’a depuis lors jamais varié. L’arrogance et l’incompétence du « petit juge » Lambert influençable – depuis suicidé – ont eu raison de l’enquête. À tel point que les soupçons finirent par se porter sur Christine Villemin elle-même…

Sans le moindre commencement de preuve, Christine Villemin fut accusée d’infanticide.

Son chagrin était trop manifeste, elle ne pouvait être que coupable. Une période d’hystérie collective savamment orchestrée par le commissaire Corazzi et maître Gérard Welzer atteint son climax quand Marguerite Duras fit paraître dans Libération son « Sublime, forcément sublime Christine V. », un délire malsain qui porta un coup fatal à cette jeune femme : « Les progrès de ce malheur elle ne les voit pas se faire, c’est certain, elle ignorerait de plus en plus où elle va : une nuit qui descendrait sur elle. Christine V. innocente qui peut-être a tué sans savoir comme moi j’écris sans savoir, les yeux contre la vitre à essayer de voir clair dans le noir grandissant du soir de ce jour d’octobre ». Sans le moindre commencement de preuve, Christine Villemin fut accusée d’infanticide. Elle était « excitante », comme l’a encore dit le commissaire Jacques Corazzi dans le documentaire Netflix, parlant de son pull moulant et de son air de « pucelle effarouchée » …

 

 Lire aussi : Meurtre de masse aux Etats-Unis : le reflet morbide de nos sociétés

 

Grâce au travail minutieux du juge Simon, admirablement mis en valeur par le réalisateur Gilles Marchand, Christine Villemin fut totalement innocentée. Pis, la décision constitua une première puisqu’elle a été entièrement réhabilitée par la cour d’appel de Dijon qui a prononcé un non-lieu pour « absence totale de charges ». Huit ans avant, Bernard Laroche avait été tué par son cousin Jean-Marie, persuadé de sa culpabilité. Saura-t-on toute la vérité et rien que la vérité un jour sur ce drame ? Jean Ker, journaliste à Paris Match, reste persuadé que la famille de Jean-Marie Villemin était impliquée, notamment son frère Michel et son cousin décédé Bernard Laroche. Les quatre ans de harcèlement du « corbeau » ne sont pas neutres. Il y a bien eu un complot dans ce milieu particulier des ouvriers ruraux de l’Est. Ils n’ont jamais parlé, n’ont jamais confessé. Peut-être savent-ils tous ce qu’il en est précisément, comme le pensait le journaliste François Caviglioli : « Des paysans pervertis passés trop vite de la forêt au quart-monde industriel. Murés dans leur silence, durs à la tâche, violents et imprévisibles ».

 

Un portrait caricatural qui collait bien aux Jacob, longtemps soupçonnés et encore inquiétés en 2017 quand le dossier a été rouvert. Un portrait qui n’est pas sans rappeler celui d’un autre protagoniste d’un fait divers marquant de l’autre côté de l’échelle sociale … un certain Xavier Dupont de Ligonnès. Jamais dénués de vérité, ces études de caractères sociologiques piquantes qui font le bonheur des journalistes police-justice peuvent pourtant faire des dégâts considérables. Par sa mesure et sa précision, le documentaire Netflix évite ces travers. C’est un témoignage qui donne au spectateur matière à réflexion sans le prendre pour un imbécile. À voir et à comprendre.

 

Gabriel Robin

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