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Orania, le trouble-fête sud-africain qui fait grincer des dents

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Publié le

31 octobre 2025

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Avec un taux de chômage proche de zéro, des infrastructures qui fonctionnent et une criminalité nulle, cette bourgade afrikaner suscite bien des envieux dans un pays qui décline. Reportage.
© Alexis Brunet

C’était fin avril. Julius Malema, dirigeant du EFF (Economic Freedom Fighters), parti d’extrême gauche souhaitant exproprier les fermiers blancs sans compensation, appelait ses militants à une grande marche pour « abolir Orania ». « Orania doit tomber ! », scandaient des centaines de militants au Cap, à 800 km de cette ville minuscule située au centre du pays, dans la région du Northern Cape.

Quelques mois plus tard, le flegme des Oraniens laissait planer le doute. Imaginent-ils Malema et ses troupes débarquer pour en découdre ? « Certains, oui. Ce que je peux vous dire, c’est que Malema est intelligent et doit être pris au sérieux. Je le sais car il est venu ici quand il était encore membre du Congrès national africain [parti politique classé à gauche, ndlr], et que c’est moi qui lui ai fait visiter la ville », nous révèle Carel Boshoff, fils du fondateur de la ville.

Bâtie en 1955 par des ingénieurs chargés d’assainir la rivière Orange, Orania tire son nom de cette dernière. Elle s’éteindra avant de renaître, pour de bon cette fois-ci, en 1991, quatre ans avant la fin de l’apartheid. La possibilité d’y habiter étant strictement réservée aux Afrikaners, ces descendants de colons hollandais, elle fait régulièrement polémique chez des politiciens y voyant une réminiscence de l’apartheid. Pourtant, les Oraniens répètent que leur ville est tout le contraire. « C’est une ville à la philosophie anti-apartheid : nous n’avons pas de domestiques et tout le monde est payé correctement », souligne Carel Boshoff, alors que des cas d’immigrés clandestins très mal payés sont régulièrement médiatisés dans le reste du pays.

Pour y élire domicile, il faut pouvoir prouver son attachement à la culture afrikaner, parler couramment l’afrikaans, être protestant, partager un idéal de vie fondé sur la famille nucléaire et le travail, ne pas être alcoolique, ou encore avoir un casier judiciaire vierge. Si aucune appartenance à la « race blanche » n’est en soi requise, tous les habitants sont blancs, alors qu’ils représentent moins de 9 % de la population totale du pays.

Venu de Johannesburg avec sa compagne, Éric Bornman s’occupe d’un centre équestre et est remonté contre les médias. « Les journalistes sont obsédés par la notion de race quand ils parlent de nous. Ils veulent diviser les Sud-Africains alors que tout le monde est bienvenu ici, peu importe la couleur de peau ! », assure cet homme qui a toujours été abstentionniste et qui en veut au gouvernement de ne pas avoir fait interdire la chanson « Kill the Boer » (Tuez le fermier blanc), qui a été chantée lors de meetings de Julius Malema. « Remplacez Boer par noir et la justice fera son travail. Pourquoi n’est-ce pas le cas quand il s’agit de nous ? », déplore-t-il.

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La ville prétend être la terre promise des trois millions d’Afrikaners vivant en Afrique du Sud et dont une partie ne se reconnaît pas dans l’Afrique du Sud contemporaine. « Beaucoup de gens viennent ici pour démarrer une nouvelle vie », se réjouit d’ailleurs Frans de Klerk, porte-parole de la ville. La liste d’attente est longue à l’en croire, et des candidats seraient régulièrement refusés lors des entretiens de sélection.

Reste qu’avec seulement trois mille habitants 34 ans après sa création, le succès de la bourgade est mitigé. De fait, la présence sur une colline d’un buste d’Henry Verwoerd, Premier ministre de 1958 à son assassinat en 1966 et connu comme l’« architecte » de l’apartheid, rend la bourgade infréquentable aux yeux de beaucoup dans ce pays où des milliers de noirs ont été tués durant cette période.

« Nous comprenons que ça puisse heurter mais c’est une façon d’assumer notre passé plutôt que de le renier. Nous avons récupéré cette statue pour ne pas qu’elle soit détruite et comme vous le voyez, elle est placée en retrait, loin derrière celle du Klein Reus », assure Frans De Klerk devant ce petit bonhomme musclé qui symbolise la réussite de la ville.

Pourtant, de l’ancien président Jacob Zuma en 2010 à l’ancien président Thabo Mbeki en 2018, les figures ou proches du Congrès national africain qui la visitent ne tarissent pas d’éloges à son égard. « Ils font exactement ce qu’on devrait faire en Afrique du Sud. Dommage que ce ne soit que pour les Afrikaners », s’est notamment enflammé le ministre des sports Gayton Mckenzie après sa visite en 2023.

Dans un pays où 32 % des actifs sont officiellement au chômage (bien plus selon des Sud-Africains), où les coupures d’électricité et d’eau n’ont rien d’exotique, où des bâtiments s’effondrent par manque d’entretien et où de nombreuses voix se plaignent de la corruption, voir une ville avec un quasi plein emploi, un système électrique partiellement solaire qui fonctionne sans coupures, tout comme l’eau, fait forcément envie. En outre, c’est sans doute la seule ville où il n’y a aucun déchet par terre, où l’on ne s’enferme pas à clé quand on dort et où l’on peut marcher la nuit bien que la police y soit quasiment inexistante. Un luxe dans un pays où la criminalité bat des records mondiaux et où ceux qui le peuvent se barricadent chez eux avec des clôtures électriques, des caméras de surveillance et des molosses.

Ruaan Dyk est co-responsable de la banque coopérative OSK qui produit la devise locale, l’ora, non reconnue par l’État sud-africain. La ville ne percevant aucune aide de l’État, il a créé dOra, une application permettant de faire des achats « en ligne » avec des devises oraniennes et qui « est compatible avec la Bible », tient à souligner ce jeune homme très calviniste et qui ne loupe jamais le culte. « Il y a un apartheid inversé dans ce pays et notre survie est en jeu. Le royaume zoulou est reconnu par le gouvernement. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour nous ? », lance-t-il.

Si le tourisme et la construction sont les premiers secteurs de l’économie, l’agriculture se limite à la culture du maïs et des noix de pécan. Malgré une production de bière locale, les vignobles sont absents car le climat est trop sec, justifie-t-on, ce qui compromet fortement les chances pour Orania de devenir le nouveau Stellenbosch, région des vignobles située près du Cap et symbole historique du « pouvoir blanc ». L’industrie est inexistante et l’isolement géographique de la ville l’empêche de commercer avec le reste du pays.

Certains sont aussi rongés par l’ennui, à l’instar de Shery Otto, qui n’est à Orania que depuis quelques mois mais qui a déjà envie de décamper au Cap malgré ses longues journées de travail.

La ville a-t-elle vocation à faire des petits en Afrique du Sud ? « Oui, et peut-être même chez vous en Europe car vous importez de la main-d’œuvre étrangère pour les tâches difficiles et vous risquez de disparaître. Ici nous faisons tout nous-mêmes et nous préservons notre culture », assure Ruaan Dyk. Reste maintenant à entamer sa révolution industrielle.

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