Libération, qui ne rate jamais une occasion d’aboyer avec la meute, a publié une tribune signée par deux cents hommes, dans laquelle un thérapeute « spécialiste du genre » décrit son programme pour « déconstruire la domination masculine ». Une réaction à l’affaire Pelicot, que les médias et les néo-féministes courroucées tentent de nous faire passer pour le procès de la masculinité toxique – voire du patriarcat. « L’affaire Pelicot nous l’a prouvé, la violence masculine n’est pas une affaire de monstres, c’est une affaire d’hommes, de monsieur Tout-le-Monde », tempête le dénommé Morgan N. Lucas. Merci, mais est-ce suffisant de dénoncer la violence systémique ? Dominique Pelicot lui-même remis les enjeux véritables au centre du débat lors de sa première journée d’audition en évoquant les origines de ses perversions et la construction mentale délétère qui l’a amené à faire de son foyer l’antichambre de l’enfer. En effet, si le principal accusé reconnaît un parcours psychologique chaotique – il affirme avoir été victime d’un viol à 9 ans – il a lui-même estimé qu’Internet a été le déclencheur de son passage à l’acte et de son enfermement progressif dans une escalade vicieuse. « On ne naît pas pervers, on le devient », dira-t-il pour résumer.
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De fait, les médias semblent pour l’instant assez silencieux sur l’importance jouée par l’environnement numérique, qui agit pourtant comme une sorte de mise sous cloche de l’ego, privant celui-ci de tout oxygène. Or qu’est-ce que l’oxygène de l’ego sinon l’empathie ?La pornographie, omniprésente et multiple, mais aussi l’ensemble des plateformes numériques (messageries, sites de « camgirls », forums libertins, applications de rencontre) génèrent un véritable « parcours utilisateur » qui provoque peu à peu la déréalisation totale. Le tout avec l’assentiment tacite – voire les applaudissements des médias. Ces mêmes qui dénoncent la masculinité toxique n’ont par ailleurs aucun mal à banaliser certaines sexualités extrêmes, ou à glorifier, comme le site Vice, la communauté du « gooning », qui consiste à se masturber toute la journée devant plusieurs écrans qui diffusent du porno en continu. Dans les médias mainstream, les pratiques extrêmes de la communauté gay ou BDSM sont présentées comme d’aimables divertissements – alors qu’elles révèlent en réalité une société malade, qui renoue avec la barbarie de ses origines pour se sentir exister. Sous couvert de diversité, on tolère de plus en plus de pathologies et de comportements déviants – qu’on voudrait faire passer pour de simples « inclinaisons », alors qu’elles sont en réalité le fruit d’une dissociation maladive. Le capitalisme numérique transforme les hommes en sociopathes et les femmes en dominatrices vénales – mais pas un mot dans les médias sur ce surplomb de l’appareil « technico-pornographique » dans l’affaire Pelicot.
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La pornographie sur le banc des accusés
À l’heure où nous écrivons ces lignes, la consommation de pornographie n’a pas encore été évoquée précisément, notamment en ce qui concerne les 51 complices de Dominique Pelicot. Elle constitue pourtant un point commun entre les accusés, tous participants d’un imaginaire pervers construit à travers l’environnement numérique du « libertinage » – et il faudrait à ce titre réhabiliter le sens « sadien » du terme libertin, trop souvent réduit à d’innocents enfantillages dans l’imaginaire collectif. Le libertin sadien est bien celui qui jouit de sa position de domination, et de la notion de souillure – souvent plus cérébrale que physique : il s’agit presque toujours de souiller un ordre établi, ici : la famille, le foyer, le couple atomique qui sera éventré presque rituellement sur l’autel de la perversion. Or la pornographie gratuite, accessible à tous, constitue bel et bien le combustible de cette chaudière à fantasmes que le libertin a conçue. Si elle passe encore trop souvent sous les radars des autorités, c’est sans doute parce qu’elle génère des milliards de dollars de bénéfices et qu’elle se protège sous le visage du consentement – alors qu’il faudrait sans doute interroger la façon dont ses actrices (et acteurs) participent bien souvent malgré eux d’une vaste machine à broyer les corps et les âmes.
Surenchère du vice
De plus, la pornographie, dans sa logique capitaliste, cherche constamment la surenchère, afin de séduire des consommateurs de plus en plus blasés. Elle se met donc à créer des besoins, c’est-à-dire des vices particuliers, des perversions de niche qui se reproduisent et se subdivisent presque à l’infini, enchaînant ses consommateurs à des représentations de plus en plus extrêmes, qu’eux-mêmes n’auraient jamais imaginées initialement. Ainsi, le site américain Pornhub enregistre chaque année une popularité croissante des thèmes « inceste » ou « viol » – même si ce sont des actes en général simulés, ils contribuent à briser la frontière entre l’imaginaire et le réel, à créer un environnement mental délétère dans lequel le corps de la femme n’est plus qu’une image « corruptible » à l’infini.
Ce qu’il faut à tout prix légiférer, interdire, contrôler, c’est bien la pornographie et ses visages multiples sur le web, qui bafouent la réalité des corps et nient l’intégrité personnelle.
L’ensemble des moyens techniques permet de permuter le fantasme vers une réalité alternative, une « hallucination seconde » comme le dit le philosophe Patrick Baudry à propos de la pornographie, qui s’impose comme la seule expression possible de l’altérité – c’est-à-dire du corps et de la personne féminine. On aurait donc tort de blâmer uniquement les bas instincts de l’homme ou encore un système « patriarcal » qui n’existe plus que dans les fantasmes de certaines féministes. Ce qu’il faut à tout prix légiférer, interdire, contrôler – et ce que les politiques se refusent à faire sous couvert de liberté d’expression – c’est bien la pornographie et ses visages multiples sur le web, qui bafouent la réalité des corps et nient l’intégrité personnelle.
Réhabiliter un patriarcat de l’honneur
Du reste, tout dans l’affaire Pelicot doit nous rappeler au contraire l’importance du patriarcat. Le patriarcat, entendu comme un rapport moral, est d’abord une injonction à protéger les femmes. Ce qu’a fait le vigile responsable de l’arrestation de Dominique Pelicot. Ce qu’a fait le commissaire de police qui a ouvert l’enquête, et qui ne s’est pas contenté de mettre un bracelet électronique au prévenu pour quelques photos volées sous les jupes. Le patriarcat « positif », ce sont ces hommes qui se battent et qui luttent pour défendre leurs mères, leurs sœurs, leurs filles.
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Le procès Pelicot est en réalité le procès du désert moral, de ces bulles de vide qui grossissent au sein des foyers, au cœur des familles : bulles numériques, bulles entropiques, bulles de perversion qui profitent du désert moral, de la chute du bien commun, pour s’implanter. Les médias doivent prendre leur responsabilité face à la « perversion » : on ne peut pas d’un côté rendre banal le vice, les pathologies sexuelles telles que le sadomasochisme (voir comment France Culture, par exemple, traite le sujet des « dominas », ces jeunes femmes qui se font payer pour humilier et dominer des pervers, les présentant souvent comme de jeunes entrepreneuses qui ont choisi d’assumer leur corps et de « vivre libres ») et de l’autre s’étonner de ce genre d’affaires. Dans un monde qui tend à banaliser la perversion, à glorifier les pathologies mentales, gageons que les affaires Pelicot vont se multiplier. Il est grand temps de provoquer une révolution morale.