Entre deux alertes de la défense antiaérienne, un communiqué du conseil municipal n’est pas passé inaperçu aux tables des cafés : s’agit-il du débarquement des nageurs de combat russes ? Du largage des dauphins chasseurs de mines dans l’avant-port ? De l’enlèvement de militaires ukrainiens au marché central par des clandestins du GRU, le redoutable service de renseignements militaires et d’action russe, avant l’assaut de la ville ? Pas du tout. Cette fois, le coup à une portée plus symbolique : les Russkis auraient gaspillé un missile pour détruire un…cabinet d’aisance sur une plage de l’oblast d’Odessa !
Plutôt flegmatiques devant la menace que la guerre de Poutine fait peser sur l’avenir de « la Perle de la mer noire », les retraités du centre d’Odessa, cité portuaire, balnéaire et cosmopolite d’un million d’habitants au sud de l’Ukraine, adorent sourire du pire. À Shevchenko park ou à Preobrazhens’kyy, les bancs des allées ombragées et fleuries sont pris d’assaut à l’heure où la ville est écrasée par une chaleur accablante, et les vieux s’y pressent comme à l’église le jour de Pâques pour tourner le chef du Kremlin en ridicule. Sous une guirlande de glycine qui embaume, des joueurs d’échecs de Soborna square se détournent un instant de leur partie pour commenter l’affaire des toilettes de plage. L’un d’eux brandit son pion, l’affublant du sobriquet « Poutinat » ou « Poutine la petite », sous le nez des fidèles de la cathédrale de la Transfiguration, qui se dresse au bout de l’allée. « Ici, on rencontre les meilleurs joueurs de l’oblast, me confie un habitué qui vient de s’offrir une nouvelle victoire contre un champion moldave dans un blitz endiablé. On joue aux dames, au back gammon, aux cartes et aux dominos. Nous avons tous des amis qui ont grandi en Russie ; j’en connais qui soutiennent les séparatistes du Donbass mais on évite de commenter les opérations militaires en cours. Quand les sirènes retentissent, on fait comme si de rien n’était, mais la guerre a compliqué les choses ».
Des panneaux rouges à tête de mort plantés dans le sable tentent vainement de dissuader les estivants de faire trempette sous peine de croiser une mine
Un humour grinçant et détaché, pétri de culture yiddish et de fatalisme tout oriental ; au XIXe siècle, il était encore ponctué d’accents grecs et italiens et de cette belle langue française qu’on parlait dans les cercles littéraires pour encenser Pouchkine, en manchette du Journal d’Odessa.
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