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On l’oublie souvent, mais l’« union des droites » a existé dans la vie politique française, au moins durant les deux premières décennies de la Troisième République. C’est à l’aune de cette donne historique que l’on doit envisager quelle forme pourrait revêtir aujourd’hui l’union des droites.
Les alliances entre factions politiques à la fin du Second Empire, comme au début de la Troisième République, sont difficiles à appréhender. Les différents groupes composant la droite née des suites de la proclamation de la Troisième République, donc du traumatisme de la guerre franco-prussienne de 1870, s’ils avaient de grandes divergences, partageaient une même défiance à l’égard du retour à la forme républicaine des institutions de la nation française, sorte de miroir inversé du gouvernement d’Emile Ollivier qui avait précédé la chute du Second Empire.
Légitimistes, orléanistes et bonapartistes autoritaires nourrissaient tous le secret espoir d’abattre la gauche, alors unanimement républicaine, s’inspirant peut-être de la relation qui unit Jean-de-Dieu Soult, héros de la bataille d’Austerlitz, à Louis-Philippe durant la monarchie de Juillet. Un ressentiment qui culmina sous une forme paradoxale, baroque, sinon grotesque : le boulangisme. Suicidé sur la tombe de sa maîtresse, le Général Boulanger sut auparavant réunir autour de sa personne des républicains de gauche, mais aussi des nostalgiques de la monarchie et de fervents bonapartistes, qui financèrent cette drôle et pathétique épopée du XIXème siècle français finissant. Ainsi s’achevait « l’union des droites » en France. La tentation d’en finir avec la République n’était pas morte, loin s’en faut, surtout dans les cercles royalistes qui ont longtemps cru pouvoir y parvenir, notamment sous l’impulsion de l’Action Française de Charles Maurras. Hasard de l’histoire, les maurrassiens empruntèrent à Paul de Cassagnac, député bonapartiste jusqu’au-boutiste, l’expression « La Gueuse » pour désigner la République.
Ressusciter l’idée d’« union des droites » implique donc d’en mesurer la portée historique et politique. Il ne s’agit pas d’un concept anodin, mais bien de l’affirmation d’une volonté d’union de sensibilités extrêmement diverses face à un ennemi commun, un régime honni. Autour de quel programme (ou quelle détestation commune, ce qui serait plus précis en l’espèce) ? Avec quels hommes ? Tant de questions presque insolubles qui font du projet d’union des droites une hypothèse peu vraisemblable à l’heure où j’écris ces lignes. Auteur de La guerre à droite aura bien lieu – Le mouvement dextrogyre, Guillaume Bernard a bien tenté de tracer à grands traits ce que pourrait être l’union des droites au XXIème siècle : « L’unité de la droite ne viendra pas de la connivence des “chefs” mais de l’aspiration du peuple de droite à l’adoption d’une plateforme commune. Si les chefs ne suivent pas, la base n’aura pas d’autre solution que de se passer d’eux ».
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Passons sur le fait que Guillaume Bernard se débarrasse un peu trop facilement des difficultés politiciennes, pour nous attarder sur le consensus politique qu’il entend construire. L’essayiste dégage cinq points, à ses yeux essentiels d’une vision politique de droite authentique : la défense de l’identité et du patrimoine hérité ; la restauration de l’autorité de l’Etat ; la promotion de la souveraineté nationale ; la «subsidiarité » censée garantir les libertés, notamment économiques ; et, le maintien d’une « conception traditionnelle » en matière de mœurs et de bioéthique. Ces principes pourraient-ils donc servir de programme commun d’une « union des droites » contemporaine ? Possible sur le fond. Au moins pour une partie de la sociologie de l’électorat de droite, plus engagée et généralement plus militante.
Imagine-t-on le « peuple de droite », si l’on admet qu’il existe, se réunir spontanément autour d’une personnalité providentielle venue le guider vers la victoire ?
Mais n’y-a-t-il pas là aussi l’expression d’une forme d’idéal platonicien, que la réalité contredit le plus souvent ? Imagine-t-on le « peuple de droite », si l’on admet qu’il existe, se réunir spontanément autour d’une personnalité providentielle venue le guider vers la victoire ? Plus surréaliste encore, en créant ex-nihilo une plate-forme de démocratie directe et participative, totalement horizontale ?
Les difficultés pratiques sont réelles, sans compter que les principes ne sont pas un programme. Si le diable se cache dans les détails, cela n’est sûrement pas sans raison. Quid de la partie sur la souveraineté nationale, infiniment complexe ? Quid de la formule indiquant que le programme commun de la droite devrait défendre une « conception traditionnelle » en matière de mœurs et de bioéthique ? Il n’est pas difficile de percevoir les premières difficultés auxquelles feraient face les promoteurs actuels de l’union des droites, si d’aventure ils cherchaient à bâtir un outil agglomérant les différents courants d’un camp dont l’identité politique commune de ses partisans se réduit parfois au fait qu’ils ne soient pas de gauche !
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Interrogée par Laurent Delahousse, Marine Le Pen se déclarait ouverte aux alliances, sans toutefois aller jusqu’à se définir comme étant elle-même de droite : « Je souhaite défendre la nation avec tous ceux qui sont prêts à le faire ». Seul parti de gauche partageant des vues similaires à celles de Marine Le Pen sur la question européenne, La France Insoumise ne se rapprochera jamais, de près comme de loin, d’une formation qui ne serait pas véritablement de gauche, c’est-à-dire dotée d’un axe idéologique l’orientant prioritairement vers la lutte contre les inégalités, cœur de combat du marxisme et de ses dérivés. Alors qui ? La droite, pardi ! Nicolas Dupont-Aignan ? En dépit des pudeurs de gazelle qu’il affiche, il a déjà franchi le pas et pourrait recommencer. Problème, il ne pèse pas suffisamment pour créer une majorité. Il n’y a donc qu’une solution en magasin : Les Républicains. La lucidité m’oblige à penser que l’éventualité est très peu probable en l’état.
L’étude des votes du premier tour de l’élection présidentielle avait montré que les électorats de François Fillon et de Marine Le Pen plaçaient les mêmes sujets en tête de leurs priorités respectives, hors la lutte contre les déficits et la dette publique.
L’étude des votes du premier tour de l’élection présidentielle avait montré que les électorats de François Fillon et de Marine Le Pen plaçaient les mêmes sujets en tête de leurs priorités respectives, hors la lutte contre les déficits et la dette publique. À l’image de l’Italie ou de l’Autriche, les électeurs de droite s’accordent au moins sur un sujet : la lutte contre l’immigration. La coalition de centre-droit italienne, qui a échoué de peu à former une majorité, dénonçait ainsi la gestion de la crise des « migrants » par le parti démocrate europhile de Matteo Renzi.
Laurent Wauquiez pourrait vouloir profiter de la relative faiblesse de Marine Le Pen dans les derniers sondages, en chute dans tous les indicateurs testés dans le sondage Kantar Sofres-One Point pour Le Monde, pour encore durcir sa proposition et se présenter en champion de la « droite vraiment de droite ». Ce désamour est certainement en trompe l’œil, Marine Le Pen bénéficiant toujours d’un monopole de fait dans le créneau du nationalisme à la française. L’« union des droites » ? Les cadres des Républicains n’en veulent d’ailleurs pas dans leur grande majorité, y compris aux élections locales. Il faut bien dire que les institutions de la Vème République ne s’y prêtent pas, favorisant le fait majoritaire au détriment des alliances faites de compromis.
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Ajoutons à cela que les sympathisants des Républicains, contrairement à ceux du Front national, majoritairement favorables à des accords, ne sont pas non plus très séduits, n’étant que 11 % à déclarer vouloir traiter le «Front national comme un allié en passant avec lui une alliance électorale globale » et 32 % à se montrer favorables à l’idée de « faire des alliances » ponctuelles avec le Front national en fonction des circonstances, toujours selon le sondage Kantar Sofres-One Point. Une telle reconfiguration pourrait, en outre, dépouiller la droite de gouvernement de l’intégralité du centre, déjà largement aspiré par Emmanuel Macron.
Si la « bataille des idées » n’a pas été remportée par la droite – encore faudrait-il s’assurer qu’elle l’eût un jour véritablement livrée -, les constats qu’elle dresse sont désormais mainstreams. Éric Zemmour le disait dans nos colonnes : « Mon constat et mon diagnostic sont désormais la norme ! Ce que je disais il y a quelques années est devenu banal. Tout le monde le pense ». Même Ariane Chemin. Je ne donnerais pas d’autres noms pour ne vexer personne. L’Union des droites serait-elle donc la traduction d’un impensé français ? Soit la réunion d’une majorité protéiforme : celle qui dit que le réel a eu lieu ? Malheureusement, cette majorité de l’opinion publique n’a pas de traduction politique efficiente. En aura-t-elle une demain ? Rien n’est moins sûr.
Si la « bataille des idées » n’a pas été remportée par la droite – encore faudrait-il s’assurer qu’elle l’eût un jour véritablement livrée -, les constats qu’elle dresse sont désormais mainstreams.
Céder au désespoir, se lamenter face à la fatalité serait pourtant une « sottise absolue ». La droite, prise dans son sens le plus large, doit être modeste. La solution révolutionnaire ou le coup de force lui sont hors de portée. Une première option pourrait donc consister à privilégier l’émergence d’une droite plurielle à la romantique et nébuleuse union des droites. L’idée de droite plurielle pourrait servir à former des coalitions aptes à gouverner, ses membres s’accordant pour remplir un minimum d’objectifs le plus efficacement possible, sans s’étouffer et faire de trop grandes concessions. En somme, il s’agirait du retour de Richelieu, pour qui la politique était l’art de rendre possible ce qui est nécessaire.
Seconde option offerte à la droite dite « authentique », plus étonnante : se résoudre à rester dans l’opposition un bon moment, en l’envisageant de manière productive. Dans des sociétés connectées, surinformées, l’opinion peut jouer un rôle de moteur historique en influençant les décisions prises par le gouvernement et en aidant les communautés de pensée à s’organiser en lobbys. Il ne s’agit pas à proprement parler de « métapolitique », mais de para-politique. Vaste sujet…
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