Il y a neuf ans, la République de Côte d’Ivoire sortait d’une crise post-électorale qui avait duré cinq mois et causé des milliers de morts dans tous les camps politiques et parmi la population. Ce scrutin meurtrier correspondait à la première élection présidentielle organisée depuis octobre 2000. C’était l’aboutissement d’une décennie d’instabilité, de guerre civile et de partition du pays. Alassane Ouattara était alors apparu comme un partisan de l’État de droit et du rétablissement de l’ordre républicain face à un président, Laurent Gbagbo, qui contestait le résultat des premières élections de son mandat dans une posture jusqu’au boutiste et autoritaire.
Réélu en octobre 2015 sur sa réputation de rassembleur et de démocrate, le président Ouattara avait annoncé en mars dernier ne pas se représenter pour un troisième mandat afin de transférer le pouvoir à une nouvelle génération et de respecter la limite fixée par la Constitution. Mais le 6 août, Alassane Ouattara a brisé son engagement et s’est déclaré candidat à l’élection présidentielle du 31 octobre. Depuis, les tensions politiques et sociales ne cessent de croître en Côte d’Ivoire…
Ce tournant autoritaire s’est d’abord illustré par la répression violente des manifestations des partis et mouvements s’opposant à un troisième mandat du président
Alassane Ouattara a donc choisi de conclure la décennie qu’il vient de passer à la tête de la Côte-d’Ivoire par un coup de théâtre qui ressemble fort à un coup d’État. Un mois après le décès inattendu de celui qu’il avait désigné comme son dauphin, son collaborateur historique Amadou Gon Coulibaly, le président Ouattara a en effet préféré se porter candidat à sa propre succession plutôt que de laisser la place à un autre membre du parti présidentiel. Cette décision, annoncée dans un discours à la nation à l’occasion des soixante ans de l’indépendance ivoirienne, n’a pas manqué de mettre le feu aux poudres. Mais le pouvoir ne semble pas chercher l’apaisement, bien au contraire : depuis trois semaines, les décisions autoritaires et liberticides s’enchaînent dans le pays des éléphants.
Ce tournant autoritaire s’est d’abord illustré par la répression violente des manifestations des partis et mouvements s’opposant à un troisième mandat du président. Celles-ci ont eu lieu un peu partout dans le pays, dans des territoires où les populations sont favorables à une alternance politique. Selon Amnesty International, « la police a permis à des hommes armés de machettes d’attaquer les protestataires », semant la terreur parmi les populations. Le bilan officiel de la première semaine de manifestations fait état de six morts, une centaine de blessés et 1500 déplacés. Depuis, plus aucune nouvelle ne filtre.
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Le gouvernement ivoirien a ensuite poursuivi sa dérive en interdisant tout rassemblement sur la voie publique du 19 août au 15 septembre, alors que les libertés de réunion et de manifestation sont garanties par la Constitution ivoirienne. Trois jours après ce diktat, le parti présidentiel faisait un gigantesque pied-de-nez à ses opposants : un meeting de 100 000 personnes, dans lequel le président Ouattara recevait l’investiture officielle de ses militants. À l’occasion de ce rassemblement géant le président-candidat s’est montré sûr de lui-même et offensif, déclarant vouloir « faire un coup K.O », c’est-à-dire gagner dès le premier tour.
En plus de verrouiller l’État de droit, le pouvoir multiplie les actes autoritaires. Pulchérie Gbalet présidente d’Alternative Citoyenne Ivoirienne a été incarcérée, le mouvement Générations et Peuples Solidaires (GPS) de Guillaume Soro a annoncé que vingt-trois de ses membres avaient été arrêtés, et le président de la jeunesse du PDCI Valentin Kouassi a quant à lui annoncé sur les réseaux sociaux être menacé de mort par des hommes de main du régime.
Celui qui se présentait il y a dix ans comme le sauveur de l’unité ivoirienne, l’homme de l’ordre et de la justice, est en train de sacrifier à la fois la justice et l’ordre en Côte-d’Ivoire
Enfin la Commission nationale indépendante, qui a souvent fait l’objet de critiques pour sa proximité avec le camp du président, a rejeté les candidatures de trois figures importantes de l’opposition : l’ancien président de la République leader d’une faction du Front Populaire Ivoirien (FPI) Laurent Gbagbo, le président de GPS Guillaume Soro, et le président du COJEP Charles Blé Goudé. Ces trois chefs politiques resteront donc en exil, pour la plus grande frustration de leurs partisans.
La Côte-d’Ivoire plonge dans un scénario catastrophe. Le scrutin présidentiel, s’il se tient, aura lieu dans deux mois et demi. Mais à quelles conditions, et à quel prix ? Si le président Ouattara maintient sa candidature par l’arbitraire et parvient à remporter les élections, sa légitimité tiendra de la force et non du droit. Comment gouverner une nation après l’avoir autant divisée ? Celui qui se présentait il y a dix ans comme le sauveur de l’unité ivoirienne, l’homme de l’ordre et de la justice, est en train de sacrifier à la fois la justice et l’ordre en Côte-d’Ivoire.