Le mal était finalement peu présent dans le roman classique, et encore moins dans la tradition antique si ce n’est en tant qu’antagonisme nécessaire, que force chtonienne relayée par les faiblesses humaines. Il n’était cependant pas encore conscient de sa nature. La fiction et sa généralisation à travers le divertissement de masse correspondent précisément à un moment où il est nécessaire pour toute une nouvelle population – la bourgeoisie et ce nouveau Tiers-État issu du monde des services et du fonctionnariat – de s’identifier à de nouveaux modèles, de construire des archétypes capables d’évacuer leur quotidien devenu nonsensique, ce que Giorgio Agamben appelait la « perte d’expérience » consécutive au monde moderne.
Génies du crime et nuisances urbaines
Les grandes figures du Mal dans la fiction – ce crime organisé qui réfléchit et projette – sont par conséquent contemporaines de la globalisation et du cosmopolitisme. Dès le début des années 1910, on reconnaît dans les romans-feuilletons de Feuillade ou d’Eugène Sue tout un cortège de séditieux conspirateurs, génies du crime à l’origine ethnique et sociale souvent mal identifiée, procédant d’un ailleurs semi-colonial, qui défile bientôt dans les illustrés et dans les alcôves de la pop culture tout juste naissante : les Fantômas, Edmond Furax et autres Ombres Jaunes à monocles qui joueront plus tard les Némésis de James Bond, autant d’images déformées d’une politique secrète, de cette nécessité à justifier les maux de la technique en les fétichisant à travers des hommes de paille, des silhouettes vides, masquées grotesquement, sortes de points d’interrogation hâtivement grimés en êtres humains. [...]
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