Loin d’être un poète voyageur, comme Marcel Thiry, fantaisiste, comme Paul-Jean Toulet ou célébrant le bonheur du quotidien, comme René-Guy Cadou, ce suisse de Philippe Jaccottet cultivait son jardin de Grignan, dans la Drôme provençale, en versifiant sur l’Être. Cela convenait à ses nombreux lecteurs qui avaient bien raison d’apprécier son œuvre. Philippe Jaccottet, frugal et fragile, communiait au génie universel en contemplant la nature :
« Un instant la mort parait vaine
le désir même est oublié
pour ce qui se plie et déplie
devant la bouche de l’aube »
Poète, Philippe Jaccottet était aussi un remarquable critique littéraire, défenseur d’une « lecture engagée, de proximité, de résonance intime » note Patrick Kéchichian. Germaniste, il se fit le principal traducteur de Robert Musil, celui de Rainier-Maria Rilke et se risqua même à nous rendre sensible aux poèmes d’Hölderlin. Par amitié pour Giuseppe Ungaretti, il apprit l’italien. Cette grande plume de la NRF, qui avait quitté Genève et Paris pour s’installer aux abords du château ayant abrités les séjours de Madame de Sévigné chez sa fille et son gendre, éprouvait une nostalgie de la Vienne impériale qu’il célébra en 1966 dans un livre de voyage grand public, sobrement intitulé Autriche, que Vladimir Dimitrijevic avait eu la merveilleuse idée de rééditer en 1994 dans la collection de poche des éditions l’Age d’homme.
Le verger poétique de Philippe Jaccottet est semblable à ces jardins méditerranéens où l’herbe rase demeure verte au printemps entre les amandiers et les oliviers. Chez lui, il faut sentir pour se souvenir. L’environnement demeure essentiel : « Tout poème exige simplement, d’abord, ce vaste espace tranquille autour de lui, pareil au cadre du tableau, pour être entendu avec toute sa richesse. » Le poème est pour lui une « étrange promesse » qu’il faut contempler pour échapper aux angoisses du temps. Vaste programme.