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Hervé Juvin : « L’Union européenne n’est pas l’Europe »

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Publié le

17 juin 2021

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Hervé Juvin est un essayiste prolifique, auteur d’une quinzaine d’ouvrages, dont le dernier en date, “France, le moment politique. Pour que la France vive !” est paru au Rocher en 2018. Intellectuel engagé, il est député européen et tête de liste du RN pour les élections régionales dans les Pays de la Loire. Observateur attentif de la géopolitique contemporaine et partisan d’un renversement des dogmes qui orientent aujourd’hui la politique étrangère, industrielle et écologique de la France, il porte sur les relations inter-européennes un regard acéré.

Quand on évoque la redéfinition du rôle et de la place stratégique de la France dans le monde, le débat semble souvent prisonnier de clivages simplistes, défini schématiquement par l’opposition entre atlantisme et anti-américanisme ou fascination prorusse. Pensez-vous qu’il soit possible aujourd’hui de retrouver la formule d’un équilibre gaullien ?

Je ne crois pas beaucoup au jeu des oppositions. Je préférerais que les élus et commentateurs de tous bords proclament d’abord qu’ils servent les intérêts de la France. Le jeu des idéologies me semble toujours très dangereux. Puisque vous évoquez de Gaulle, il me semble que, comme lors de la crise de Cuba en 1962, si la sécurité nationale des Américains ou des Européens est clairement menacée, la France se doit de traduire dans les faits la validité de ses alliances historiques, notamment avec les États-Unis. Mais ceci dit, dans le domaine de la vie des affaires, du droit et de l’économie, on ne peut que constater l’extraterritorialité très agressive du droit américain et la volonté manifeste d’affaiblir des secteurs-clés de l’industrie française et de l’industrie de défense française, voire de s’en emparer. Les opérations menées contre Airbus ou Alcatel, ou encore l’affaire Alstom conduisent même à se poser la question d’un véritable « pacte de corruption » qui pousse une partie des élites politiques à ignorer, voire à favoriser ces menées. Il y a le danger de voir la France, seule puissance militaire conséquente en Europe avec le Royaume-Uni, se faire évincer des marchés de la défense pour continuer à servir de supplétif aux opérations américaines et se retrouver en première ligne dans des confits contestables. La volonté américaine de mettre au pas des États forts au Moyen-Orient se traduit aujourd’hui par un regain de tension avec la Turquie, qui pourrait nous entraîner plus avant dans un aventurisme dangereux.

En dépit de la crise dans laquelle l’Union européenne semble ne pas devoir cesser de s’enfoncer, le couple franco-allemand reste le principal cheval de bataille de l’Élysée. L’Allemagne constitue-t-elle pour la France un partenaire fiable ?

L’Allemagne reste très largement une énigme qui ne se laisse pas enfermer dans les schémas de ceux qui ne voudraient la considérer que comme une puissance inféodée à la politique américaine. Elle est toujours enchaînée à sa culpabilité historique et s ’est reconcentrée sur des impératifs économiques qui l’amènent à jouer selon ses intérêts sur différents tableaux. Ainsi, l ’Allemagne réaffirme son lien, voire sa dépendance stratégique avec les États-Unis mais elle défend toujours implacablement le projet industriel Northstream 2, afin d ’acheminer le gaz russe en Europe. Historiquement, l ’Allemagne regarde vers l’est et est partie prenante dans de vastes projets de développement eurasiatiques, y compris ceux qui relèvent des « routes de la soie » chinoises, tandis que la France reste à la traîne sur ces théâtres économiques. L’Allemagne laisse en revanche à la France le soin de s ’engager dans des opérations militaires qui participent à la sécurisation des frontières et des intérêts de toute l ’UE, comme au Mali par exemple, ou en Centrafrique.

Je plaide personnellement pour que l’Europe participe activement, financièrement et militairement, aux opérations extérieures dont la France assume seule la charge, afin que nous ne soyons plus seuls à payer le prix humain, matériel et financier de ces opérations

Elle n’a pas l’intention de redevenir une puissance militaire mais en revanche, les tribulations du dossier SCAF (Système de Combat Aérien du Futur) témoignent de sa volonté de reconquérir un leadership dans le domaine de l ’industrie militaire en acquérant des compétences qu’elle a perdues en matière d’aéronautique militaire et de systèmes d’armes. Je plaide personnellement pour que l’Europe participe activement, financièrement et militairement, aux opérations extérieures dont la France assume seule la charge, afin que nous ne soyons plus seuls à payer le prix humain, matériel et financier de ces opérations. Mais nous avons un président qui reste obnubilé par l’alliance avec l’Allemagne au point de consentir à de graves renonciations. Je me sens, en tant que français, humilié de voir, par trois fois, la ministre allemande de la défense (Annegret Kramp-Karrenbauer) adresser à Emmanuel Macron une fin de non-recevoir à propos de la constitution d’une armée européenne. Les Français semblent bien être les seuls à y croire tandis que les Allemands mènent une politique strictement concordante avec leurs intérêts économiques.

Qu’en est-il de nos relations avec le Royaume-Uni ? Le Brexit n’offre-t-il pas à la France une chance historique de reconsidérer son partenariat avec nos voisins britanniques et par-là même de retrouver un destin océanique qui est tout aussi important que son rôle continental ?

La sortie du Royaume-Uni montre de toute évidence que l ’UE n’est pas l ’Europe. Cette sortie n’a, du moins pour le moment, pas transformé le Royaume-Uni en champ de ruines et la France conserve beaucoup de coopérations bilatérales avec le Royaume-Uni et celles-ci, aux dires de ceux qui y participent, se déroulent bien. Il faut rappeler que nous partageons avec l’Angleterre une expérience impériale qui nous rapproche. Quand il se passe quelque chose dans le monde, les Français comme les Anglais se sentent concernés. Ce n ’est pas le cas de beaucoup de nos confrères européens. Allemands, Autrichiens ou Polonais n’ont rien à faire de ce qui se passe au Mali par exemple. Britanniques, Français et Russes se retrouvent dans ce te conscience impériale partagée et il faut noter également que nous sommes les seules puissances nucléaires et les seuls membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations-Unies.

La sortie du Royaume-Uni montre de toute évidence que l ’UE n’est pas l ’Europe

La Grande-Bretagne a choisi de prendre le large, elle a aussi choisi l ’Asie, en plus des États-Unis, devenant le port franc de la plus importante zone de libre-échange conclue entre 16 pays asiatiques. La France, assurément, n’assume pas, ou plus, son rôle océanique. Nous possédons la deuxième Zone Économique Exclusive (ZEE) et le premier domaine sous-marin au monde, avec un accès potentiel à de très importantes matières premières et une biodiversité exceptionnelle et nous ne faisons rien, ou presque, de ces atouts. Il serait indispensable de remettre sur pied une grande politique maritime.

Pourquoi, dès lors, tant d’aveuglement de la part de nos gouvernants, qui s’obstinent à garder les yeux tournés vers l’UE et vers l’Allemagne quand le Royaume-Uni affirme vouloir réassumer son rôle de puissance globale ?

Il s’agit d’abord d’une question de rendement économique à courte vue. Le rendement d’une ZEE n’est pas assez profitable aux yeux des investisseurs et des décideurs. Je plaide avec force pour une instance qui serait capable de préserver et tirer parti de ces ressources sur le long terme. La mer est depuis trop longtemps sortie du champ de nos préoccupations[...]

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