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Benoît XVI : une perle aux cochons

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Publié le

3 janvier 2023

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« Seigneur, je t’aime », a dit le pape Benoît XVI, vieillard de 95 ans, à 3 heures ce matin du 31 décembre 2022, à Rome. Puis Joseph Ratzinger est mort, et a paru devant son créateur, le seul qui connaisse son nom véritable et éternel.
BXVI

Le 12 septembre 2008, nous avions eu l’immense honneur d’être invité à entendre ce pape aux Bernardins, lors de sa visite en France. « J’aimerais vous parler ce soir [c’était d’ailleurs l’après-midi] des origines de la théologie occidentale et des racines de la culture européenne », commençait le Pontife devant un parterre effaré d’anciens présidents et de chapeaux à plume du monde de la « culture », laquelle n’avait que peu à voir avec celle qu’il s’apprêtait à évoquer. Car ces origines dont le Bavarois parlait, c’était simplement les moines, et particulièrement les fils de saint Benoît, à qui il avait pris son nom : « Il faut reconnaître avec beaucoup de réalisme que leur volonté n’était pas de créer une culture nouvelle ni de conserver une culture du passé. Leur motivation était beaucoup plus simple. Leur objectif était de chercher Dieu, quaerere Deum. Au milieu de la confusion de ces temps où rien ne semblait résister, les moines désiraient la chose la plus importante : s’appliquer à trouver ce qui a de la valeur et demeure toujours, trouver la Vie elle-même. Ils étaient à la recherche de Dieu. Des choses secondaires, ils voulaient passer aux réalités essentielles, à ce qui, seul, est vraiment important et sûr ». Joseph Ratzinger partageait en effet avec François Mitterrand cette seule conviction que l’Europe était partout où se trouvaient les monastères bénédictins (ou cisterciens, selon les versions). Ratzinger était certainement le premier et le dernier Européen, dans le sens le plus grand de ce mot, où s’allient raison et universel, volonté civilisatrice et amour de l’Autre, en tant que différent et même, d’ici et d’ailleurs, riche et pauvre, force et faiblesse.

« C’est quand je suis faible que je suis fort », cette phrase de saint Paul le saint pape l’aura incarnée jusqu’au bout de ongles, jusqu’au bout de sa si longue vie, qui aura commencé dans le silence forcé des enfants catholiques d’Allemagne écrasés sous la botte du Reich païen nazi, et terminé dans la solitude presbytérale de Rome : « Le Seigneur m’a enlevé la parole pour me faire apprécier le silence », confiait-il il y a deux ans à un cardinal venu le visiter.

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Et pourtant, entretemps, combien aura-t-il parlé ! Combien aura-t-il écrit surtout, rendant toute chose plus claire, tout mystère plus profond et lumineux en même temps. « Coopérateur de la vérité », c’était sa devise pontificale et il s’y tint, autant qu’il lui était humainement possible, dénouant intellectuellement des nœuds qui, s’ils ne concernaient peut-être parfois que les catholiques eux-mêmes, n’en étaient pas moins si complexes et si serrés qu’on les pouvait juger inextricables.

Ainsi de l’interprétation du concile auquel, jeune théologien, il avait si bien participé qu’on commença dès lors à le tenir pour un aigle de la théologie : déplorant la double tendance fautive qui en avait résulté, la « progressiste » et la « traditionaliste », il les qualifia toutes deux d’« herméneutique de la discontinuité et de la rupture » à quoi il opposa la seule saine, qui devait guider l’Église, celle de « la réforme dans la continuité ».

« Les sciences naturelles, qui professaient sans réserve une méthode propre dans laquelle Dieu n’avait pas sa place, se rendaient compte toujours plus clairement que cette méthode ne comprenait pas la totalité de la réalité et ouvraient donc à nouveau les portes à Dieu »


Benoît XVI

Cela il l’exposa dans ce qui doit être, selon nous, considéré sinon comme son plus grand texte (il faudrait trois vies pour lire sérieusement tout ce que Ratzinger-Benoît XVI a écrit et publié), au moins comme le texte fondateur de son pontificat, le discours devant la Curie du 22 décembre 2005. Qu’on nous pardonne ainsi de le citer peut-être trop longuement, mais il semble que tout le génie intellectuel et spirituel du pape émérite s’y manifestait :

« Le Concile devait définir de façon nouvelle le rapport entre l’Église et l’époque moderne. Ce rapport avait déjà connu un début très problématique avec le procès fait à Galilée. Il s’était ensuite totalement rompu lorsque Kant définit la “religion dans les limites de la raison pure” et lorsque, dans la phase radicale de la Révolution française, se répandit une image de l’État et de l’homme qui ne voulait pratiquement plus accorder aucun espace à l’Église et à la foi. L’opposition de la foi de l’Église avec un libéralisme radical, ainsi qu’avec des sciences naturelles qui prétendaient embrasser à travers leurs connaissances toute la réalité jusque dans ses limites, dans l’intention bien déterminée de rendre superflue “l’hypothèse de Dieu“, avait provoqué de la part de l’Église, au XIX siècle, sous Pie IX, des condamnations sévères et radicales de cet esprit de l’époque moderne. Apparemment, il n’existait donc plus aucun espace possible pour une entente positive et fructueuse, et les refus de la part de ceux qui se sentaient les représentants de l’époque moderne étaient également énergiques. Entretemps, toutefois, l’époque moderne avait elle aussi connu des développements. On se rendait compte que la révolution américaine avait offert un modèle d’État moderne différent de celui théorisé par les tendances radicales apparues dans la seconde phase de la Révolution française. Les sciences naturelles commençaient, de façon toujours plus claire, à réfléchir sur leurs limites, imposées par leur méthode elle-même, qui, tout en réalisant des choses grandioses, n’était toutefois pas en mesure de comprendre la globalité de la réalité. Ainsi, les deux parties commençaient progressivement à s’ouvrir l’une à l’autre. Dans la période entre les deux guerres mondiales et plus encore après la Seconde Guerre mondiale, des hommes d’État catholiques avaient démontré qu’il peut exister un État moderne laïc, qui toutefois, n’est pas neutre en ce qui concerne les valeurs, mais qui vit en puisant aux grandes sources éthiques ouvertes par le christianisme. La doctrine sociale catholique, qui se développait peu à peu, était devenue un modèle important entre le libéralisme radical et la théorie marxiste de l’État. Les sciences naturelles, qui professaient sans réserve une méthode propre dans laquelle Dieu n’avait pas sa place, se rendaient compte toujours plus clairement que cette méthode ne comprenait pas la totalité de la réalité et ouvraient donc à nouveau les portes à Dieu, conscientes que la réalité est plus grande que la méthode naturaliste, et que ce qu’elle peut embrasser. On peut dire que s’étaient formés trois cercles de questions qui, à présent, à l’heure du Concile Vatican II, attendaient une réponse ».

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Ces trois questions, entre la foi et la science, entre la foi et l’État, entre la foi chrétienne et les autres, pour Benoît XVI, le Concile Vatican II les avait résolues techniquement, mais encore fallait-il que cela fut connu des fidèles, et profondément, et dans leur cœur. On peut dire que c’est à quoi il consacra son ministère, avec cependant peu d’espoir d’être entendu immédiatement. Pour ce que sa réponse était sans doute trop fine, on le conspua médiatiquement, et on n’entendit rien de son discours.

Sur les rapports de la foi et de la science moderne, question qui taraudait le grand esprit systématique qu’il était, son testament prend d’ailleurs encore la peine de s’exprimer, dans un cri de désespoir :  « Tenez bon dans la foi ! Ne vous laissez pas troubler ! Il semble souvent que la science – d’une part les sciences naturelles, d’autre part la recherche historique (en particulier l’exégèse des Saintes Écritures) – ait des vues irréfutables qui s’opposent à la foi catholique. J’ai assisté de loin aux transformations des sciences naturelles et j’ai pu voir comment des certitudes apparentes fondées contre la foi, ne se révélaient pas être des sciences, mais des interprétations philosophiques appartenant seulement en apparence à la science – tout comme la foi a appris, dans le dialogue avec les sciences naturelles, la limite de la portée de ses affirmations et ainsi à mieux comprendre ce qu’elle est ».

« J’ai vu et je vois comment, dans l’enchevêtrement des hypothèses, la raison de la foi a émergé et émerge à nouveau. Jésus-Christ est vraiment le chemin, la vérité et la vie – et l’Église, dans toutes ses imperfections, est vraiment Son corps »


Benoît XVI

De même sur la vérité de la révélation chrétienne, dans le même texte il raconte : « Depuis soixante ans, j’accompagne le chemin de la théologie, en particulier celui des études bibliques, et j’ai vu s’effondrer, au fil des générations, des thèses qui semblaient inébranlables et qui se sont révélées n’être que de simples hypothèses : la génération libérale (Harnack, Jülicher, etc.), la génération existentialiste (Bultmann, etc.), la génération marxiste. J’ai vu et je vois comment, dans l’enchevêtrement des hypothèses, la raison de la foi a émergé et émerge à nouveau. Jésus-Christ est vraiment le chemin, la vérité et la vie – et l’Église, dans toutes ses imperfections, est vraiment Son corps ».

Enfin, sur le rapport à l’État, dans son allocution de 2005, il est on ne peut plus clair : « L’Église antique, de façon naturelle, a prié pour les empereurs et pour les responsables politiques, en considérant cela comme son devoir (cf. 1 Tm 2, 2) ; mais, tandis qu’elle priait pour les empereurs, elle a en revanche refusé de les adorer, et, à travers cela, a rejeté clairement la religion d’État. Les martyrs de l’Église primitive sont morts pour leur foi dans le Dieu qui s’était révélé en Jésus Christ, et précisément ainsi, sont morts également pour la liberté de conscience et pour la liberté de professer sa foi, – une profession qui ne peut être imposée par aucun État, mais qui ne peut en revanche être adoptée que par la grâce de Dieu, dans la liberté de la conscience ».

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Alors, les médias incultes ne retiendront de lui, à son débit que les polémiques sur l’islam ou sur la contraception : à son crédit, que sa lutte contre la pédophilie dans l’Église et le détournement des finances du Vatican ; mais en réalité, ce pape dont encore une fois il faudra cinquante ans avant de mesurer la portée réelle de la théologie aura posé, ou reposé, inscrit dans la tradition millénaire de l’Église catholique, les vrais termes de l’exigence chrétienne pour aujourd’hui et pour demain, c’est-à-dire penser et vivre « comme si Dieu existait » :

« À l’époque des Lumières, on a tenté de comprendre et définir les normes morales essentielles en disant qu’elles seraient valables “etsi Deus non daretur”, même si Dieu n’existait pas […]. La tentative, portée à l’extrême, de modeler les choses humaines en faisant tout à fait abstraction de Dieu nous conduit de plus en plus au bord du gouffre, vers la mise de côté totale de l’homme. Il faudrait alors renverser l’axiome des philosophes des Lumières et dire : même ceux qui ne parviennent pas à trouver le chemin de l’acceptation de Dieu devraient en tout cas chercher à vivre et à mener leur vie “veluti si Deus daretur”, comme si Dieu existait. C’est le conseil que Pascal donnait déjà à ses amis incroyants ; c’est celui que nous voudrions donner, aujourd’hui aussi, à nos amis incroyants. Ainsi personne n’est limité dans sa liberté, mais toutes nos affaires trouvent un soutien et un critère dont elles ont un urgent besoin » (discours de Subiaco, 2005).

Cherchant Dieu, Ratzinger-Benoît XVI aura « réjoui notre jeunesse », comme dit le psalmiste, éclairé notre intelligence et affermi notre foi. Et c’est ainsi qu’il fut pape, notre pape.

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