Distinguer le bon mauvais goût du mauvais, n’est-ce pas le comble du snobisme ?
On est toujours le plouc ou le snob de quelqu’un, donc mon livre n’échappe pas à la règle. Ce dictionnaire amoureux est, presque par essence, le plus subjectif, le plus partial de la collection. Ici, le mauvais goût se double d’une mauvaise foi revendiquée, patentée, qui flirte nécessairement avec le snobisme. N’étant plus à un comble près, je vous réponds donc oui !
Le mauvais goût assumé représente, comme vous le dites, la « part d’ombre » de votre sensibilité. Quel est l’objet de mauvais goût qui incarnerait le plus cet aspect de vous-même ?
La question du choix, du palmarès, est très difficile dans un tel fourre-tout. J’aurais tendance à dire que le dictionnaire tout entier – en ce qu’il est la synthèse de près d’un demi-siècle de culte, de culture et d’enrichissement de mon mauvais goût – incarne cette part d’ombre. Ses six-cents pages sont le miroir, certes déformant mais malgré tout fidèle, de toutes les joyeuses horreurs qui se passent dans ma tête.
Lire aussi : Éditorial culture de mars : La théologie des imbéciles
Quel homme vivant de mauvais goût considérez-vous comme le plus attachant ?
Encore une question délicate, car la plupart de mes « maîtres » sont morts, depuis parfois longtemps : Topor, Mocky, Lafesse, le chanteur Grand Jojo, l’admirable Choron… Mon mauvais goût est toujours en deuil de quelqu’un. Mais s’il fallait piocher parmi les vivants, je pense que la palme irait à mon cher Didier Super. Cet humoriste a eu son heure de gloire voici quinze ans mais sévit toujours çà et là, sans jamais abdiquer sa provocation radicale, son humour à la tronçonneuse, et cette laideur proverbiale et revigorante qui caractérise chacune de ses épiphanies. Sa chanson « Y en a des bien » est une antienne que j’ai bien entendu apprise à mes enfants. Loué soit-il.
Votre dernier coup de cœur mauvais goût ?
Sans-doute le film Babylon, qui sous couvert de fresque hollywoodienne se complait, avec une indéniable virtuosité et une véritable démesure, dans le lyrisme fécal, urinaire et vomitif. Depuis le – certes indépassable – Caligula de Tinto Brass, j’avais rarement vu de si belles orgies. Le film possède autant de défauts que de qualités, mais dans la balance mon cœur va au plaisir que procure la liberté presque éjaculatoire de cette comédie musicale parlée.
Votre dernier coup de gueule mauvais goût ?
Il suffit d’habiter Paris pour être écœuré par la laideur compulsive du mobilier urbain, des abominables bancs publics, des jardinets participatifs qui sont autant d’usines à crottes… Les exemples abondent et se multiplient comme des métastases. Anne Hidalgo est le cancer de Paris.
Le mauvais goût des années 2020 réside dans la disparition globale du second degré, un esprit de sérieux assassin doublé d’une inculture galopante, qui formate les gens à l’autocensure
Y a-t-il un genre de mauvais goût typiquement français ?
Je suis français, mon dictionnaire l’est aussi, et nonante pour cent de mes exemples le sont. Je ne connais pas les mauvais goûts de nos voisins immédiats ou lointains, mais je pense que cela transcende malgré tout les différences et les frontières.
Vivons-nous une bonne époque pour le mauvais goût ?
Disons que le mauvais goût de notre époque est de ceux que je caractérise dans mon livre avec un pique, et non un cœur. La folle liberté provocatrice des années soixante-dix n’est plus. Le mauvais goût des années 2020 réside dans la disparition globale du second degré, un esprit de sérieux assassin doublé d’une inculture galopante, qui formate les gens à l’autocensure, à la peur de l’offense, au « bâillonnage » de toute ironie, de tout sarcasme. Le mauvais goût de notre temps est une grisaille morne, rampante, assez prétentieuse, et d’une profonde tristesse. La légèreté, la désinvolture, la farce potache, l’humour assassin, semblent au cachot pour un bon moment. Et ça, c’est d’un goût bien douteux.