Atelier du macaron, atelier du sourcil, atelier du vin, du veau et du café, artistes lunetiers, éditeurs de whisky, artiste tatoueur et autres créateurs de fromages, artistes coloristes, l’emphase s’empare, noblesse du contingent oblige, de tout ce qui semblait, en des temps pas si lointains, fastidieux et presque nécessaire. J’arpente le cœur des villes, autrefois centre-ville, excusez du peu, ici bat pour nous la systole et la diastole d’urbanistes avisés et préoccupés de nos déambulations inconséquentes, loin des banlieues, sur des dalles glissantes, entre des bornes métalliques interdisant toute circulation automobile, et ne saurait plus entrer dans une boutique, afin d’acheter un morceau de brie où de roquefort, sans subir l’expertise et la connaissance historique insigne, de ce que je pensais n’être autrefois, que le débonnaire fromager du coin. Appellations et généalogie de la vache et du terroir, traçabilité, heure de la traite et prénom du fermier, alpages ou riantes campagnes : là on est sur un brie affiné aux tanins prononcés, me dit-on. Ici les notes sont plus douces, moins corsées, et le tout laisse en bouche, un arrière-goût de graminées et de ferments. Oui le fromage finit dans la bouche, rarement sous le genou, et se tenir sur un morceau de brie, n’est pas chose aisée.
L’orgueil c’est la chute, le conformisme une petite culbute vers l’amnésie
En mauvais coucheur que je suis, j’observe le vendeur et n’en finis pas, sourire en coin, de ravaler mon sarcasme et mon souvenir des comices agricoles, moqués par ce cher Gustave Flaubert. Oui, je ne cesse de m’agacer du vendeur et du mauvais coucheur que je suis. Oui, m’accusant de n’être pas assez bon camarade, mécontent de tous et mécontent de moi-même, je ne cesse d’interroger cet agacement. Pourquoi cette connaissance ainsi délivrée, dont tant et tant partagent le complexe bavardage avec enthousiasme, confabulation de la classe moyenne en vélo électrique, me confond-elle à ce point ? Si le Zimbabwe nous attaque, nous sommes foutus dans l’heure, me dis-je en secret. Ce n’est que délaissant l’atelier du fromage, pour l’atelier du livre, que la lumière, fiat lux, en moi se fait. C’est non loin des témoignages sociologiques et victimaires de la rentrée littéraire, chef-d’œuvre saisonniers et étiquetés par la stagiaire aux cheveux bleus, fan de Leïla Slimani et de cartels en écriture inclusive, future commerçante et critique dans la foulée, que j’aperçois la table des romans graphiques. Malaise dans la culture. Je suis envahi par cette soudaine évidence et mon sarcasme laisse place à cette mélancolie qui parfois me saisit au détour d’une rue. Malaise dans la culture. Regret d’une époque où le roman graphique n’était que de la bande dessinée, et l’éditeur de whisky un marchand de spiritueux. L’art était l’art du maître, une maîtrise donc, le roman la possibilité de rechercher le temps perdu et retrouver l’artiste dans la boucle de son œuvre accomplie.
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Oui, l’orgueil c’est la chute, le conformisme une petite culbute vers l’amnésie, me dis-je, en bon antimoderne. L’art et la connaissance tellement galvaudés, se retrouvent soldés à la devanture et sur le trottoir, dans cette longue dégringolade, depuis les pissotières de Duchamp et son fétichisme idolâtrique, jusque dans cette oralité pathologique et régressive, qui fait office de nos jours, de raffinement et de culture. Nous sommes ici soudain tous artistes et amateurs d’art, peuple de haute culture, haute volée égalitariste, culture accessible à tous, et ce peuple n’a plus besoin, n’en déplaise aux élitistes grincheux, no pasaran, ni de finitude ni de transcendance. Là on est sûr de la transcendance au kilo et du fromage conceptuel, où le discours performatif, vend un savoir d’épicier. Et ce savoir inflationniste, fait coût double. Le discours s’achète autant que la marchandise. Le marketing est à ce prix. Sachez cependant, que le soir, dans ma suite parentale, oui à quoi bon dormir dans une chambre, si ce n’est pas pour se coucher de bonne heure, cherchant le sommeil et le trouvant rapidement, je me repends presque sincèrement, d’être à ce point réfractaire aux réjouissances du temps.





