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Le cercle d’Anita par Samuel Brussell

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23 janvier 2018

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Trieste
L’écrivain suisse – et éditeur culte – Samuel Brussell, offre ce mois-ci aux lecteurs de L’Incorrect une somptueuse évocation de Trieste, de la poétesse Anita Pittoni et des ombres prestigieuses qui hantent cette ville de Vénétie – évocation d’une Europe de Joyce à Morovich. Dépêche de l’ANSA 5 mars 2017 : « Il s’en est fallu de peu qu’une maison d’édition comme Adelphi naquît à Trieste, à la fin de l’année 1949, plutôt qu’à Milan, en 1962. C’est ce qui ressort de la découverte, faite par la librairie ancienne Drogheria 28 de Simone Volpato, de la correspondance entre les Triestins Bobi Bazlen, un des fondateurs inspirateurs des éditions Adelphi, et Anita Pittoni qui, en 1949, créa la maison d’édition Lo Zibaldone. La correspondance consiste en dix lettres écrites entre 1949 et 1953 et s’ouvre avec l’invitation d’Anita Pittoni faite à Bazlen d’entrer dans le comité du Zibaldone. Bazlen envoie aussitôt ses bons vœux et conseille à Pittoni d’oublier la littérature triestine, à la veine fatiguée, pour s’ouvrir à la Mitteleuropa. » Une maison d’édition milanaise est née à Trieste en 1949. La maison milanaise était une dissidence de la triestine Zibaldone mais Zibaldone était la maison-mère. Je m’ouvris de cette découverte au libraire Volpato, à qui j’étais venu rendre visite à la foire du livre ancien à Milan, où il exposait. Bobi Bazlen avait exporté la peste triestine à Milan, mais la vivifiante peste venue des confins de l’Empire défunt s’était diluée peu à peu après sa mort, jusqu’à se volatiliser à la fin de la guerre froide, quand l’« Europe réunie », à l’instar de l’« Allemagne réunie », se sentit brusquement orpheline, orpheline d’elle-même. Le vieux rêve centraliste de la réunification, de l’indivisibilité, n’en finissait plus de séparer et d’isoler les hommes. On eût dit que les dieux se vengeaient de tous les idéalismes en abolissant l’espace et le temps – alias l’identité. L’Art d’être nulle part « Venez me voir à Trieste », m’avait dit le libraire antiquaire. « Et ne venez plus nous dire que Trieste est inaccessible », avais-je lu sur un dépliant touristique. Trieste se contentait d’être accessible à qui avait envie de la voir ; pour l’heure, elle ne suscitait pas d’autre impulsion. Deux semaines plus tard, je poussai la porte de la librairie ancienne, via Ciamician, derrière la place Hortis, où siégeait le bâtiment de l’ancienne bibliothèque de la ville. Le génie de la littérature triestine se faisait sentir, curieusement, dans sa « veine fatiguée », qui se déployait avec une sourde et mystérieuse énergie sur les étagères de cette ancienne droguerie. Quand je posai le pied à Trieste pour la première fois quelque trente ans plus tôt, la ville me fut aussitôt (...)
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