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Dans un pays qui se revendique des Lumières, il serait gênant d’être soumis à une police de la pensée…
Le 22 mai, Françoise Nyssen était auditionnée par la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale. Venue défendre au palais Bourbon le projet de loi du gouvernement contre les fausses informations, (« fake news »), le ministre de la Culture y a été interpellée par plusieurs députés qui s’interrogeaient à juste titre sur la légitimité de cette mesure : « La capacité de discernement des citoyens ne suffit plus », leur a-t-elle répliqué, faisant montre d’une morgue scandaleuse à l’égard de ses concitoyens. Et, saluant les initiatives de contrôle développées par des organes de presse tels que le Décodex du Monde ou le Check News de Libération, elle a insisté sur la nécessité de cette loi pour éviter toute « fausse information », c’est-à-dire « toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable », notamment en période électorale.
Une loi supplémentaire
Il est cependant manifeste qu’il s’ agit là d’une porte ouverte au délit d’opinion. Francoise Nyssen s’est néanmoins justifiée en prenant pour cible internet et les réseaux sociaux, moyens de diffusions de nombreuses calomnies. Au cours des récentes campagnes, bon nombre d’intox visant des candidats – tels Hillary Clinton et Emmanuel Macron – ont largement circulé sur internet. Alors candidat, Emmanuel Macron avait ainsi porté plainte pour « faux, usage de faux et propagation de fausse nouvelle destinée à influencer le scrutin », après la diffusion de faux documents sur internet l’accusant d’évasion fiscale dans les Caraïbes. Le ministre a également mentionné « les chaînes d’information pilotées par des États étrangers » – visant évidemment la chaine russe RT qui émet en France depuis un an.
De fait, la loi du 29 Juillet 1881 sur la liberté de la presse permet déjà de réprimer les propos erronées ou diffamatoires. L’ article L. 97 du code électoral statue également sur la diffusion de faux propos. Jugeant le dispositif légal « insuffisant » pour lutter contre les « fake news », le gouvernement Macron souhaite cependant durcir la législation. Ce texte (une loi ordinaire et une loi organique) introduit la possibilité de saisir la justice en référé pour arrêter la diffusion d’une fausse information en ligne en période pré-électorale et électorale. Un juge aura alors 48 heures pour se prononcer sur la véracité d’une information. Si cette information diffusée massivement est suspectée d’affecter l’issue du scrutin, la justice pourra ordonner son retrait du web. Elle pourra par exemple déréférencer un site la diffusant, ou encore fermer un compte la faisant circuler sur les réseaux sociaux.
Un désaccord de tous bords
Débattu à l’Assemblée depuis jeudi 7 Juin, ce texte suscite de nombreuses réactions. « La dissémination de fausses informations ne se fait pas au hasard […] Elle répond souvent à une véritable stratégie politique, financée parfois par des États tiers à la frontière orientale de l’Union européenne, visant à diviser nos sociétés [et] à affaiblir le projet européen », assure le député (LREM) Pieyre-Alexandre Anglade, insistant ainsi sur la nécessité de cette loi. Mais alors comment distinguer une information erronée, mais publiée de bonne foi, d’une information volontairement faussée ? La députée (LR) Brigitte Kuster a à juste titre interpellé la ministre. « Le conseil d’Etat souligne qu’en elle-même, la notion de fausse information [telle que définie dans le projet de loi] ne révèle aucune intentionnalité. L’intention de nuire devrait pourtant être l’élément caractéristique de l’infraction, ce qui n’est pas le cas dans la proposition de loi ».
Plusieurs députés ont fait part de leurs réserves, à la suite du Conseil d’État. Christian Jacob, président du groupe LR, a dénoncé la mise en place d’une « police de la pensée ». La députée (NG) George Pau-Langevin s’est elle interrogée sur l’absence d’évaluation du dispositif législatif déjà existant. Dans une tribune publiée sur Causeur, la présidente du FN dénonce un texte « liberticide ». Quant au chef de file des Insoumis, il fustige une grossière tentative de contrôle sur l’information ».
Lire aussi : lutte contre les “fake news”, une arme de répression intellectuelle massive
Cette levée de bouclier s’étend qui plus est au milieu médiatique : le syndicat national des journalistes (SNJ) déplore un texte « inefficace et potentiellement dangereux » car conduisant indubitablement à la censure. Reporters sans frontières (RSF) ne s’oppose pas fondamentalement à la proposition de loi mais critique un texte préparé « dans l’urgence » et avance plusieurs contre-propositions pour éviter les « possibles effets pervers juridiques et politiques, dans un contexte de guerres de l’information menées par des régimes autoritaires ».
« Ces deux textes ne concernent pas les journalistes, répète-t-on dans les rangs de la majorité. Ce contre quoi nous luttons, ce sont les tentatives de déstabilisation, notamment extérieures, dans nos scrutins » a tenté de justifier la députée LREM Naïma Moutchoua, rapporteur du texte.
Dans le monde virtuel de l’information et du numérique, la diffamation peut, certes, être extrêmement rapide. Mais la loi de 1881 et le code électoral prévoient d’ores et déjà une législation encadrant la diffusion de propos erronés. « Il existe déjà une profession, les journalistes, dont le métier est précisément d’invalider les fausses nouvelles. Ce n’est pas à l’État de décider de ce qui est juste ou faux », affirmait très justement Dominique Reynié. Le risque de la censure et du délit d’opinion apparait en effet immédiatement : dans un pays qui se revendique des Lumières, il serait gênant d’être soumis à une police de la pensée…
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