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L’habit ne fait plus le réac

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Publié le

29 octobre 2019

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Décidément, tout fout le camp. Même les réacs ne sont plus ce qu’ils étaient. Avant, c’était pourtant simple. Déjà, il fallait qu’ils soient de droite. Ensuite, il fallait que ce soit des hommes de préférence. En gros, il fallait qu’ils soient conservateurs, nostalgiques et passéistes.

Sans revenir à Joseph de Maistre ou Charles Maurras, Eric Zemmour ou Philippe de Villiers faisaient donc très bien l’affaire. Mais tout ça, c’était avant.

 

#BalanceTonRéac

 

Oui, des réacs, on en trouve maintenant à droite, à gauche, et même ailleurs. Aujourd’hui, ils peuvent s’appeler Blanquer ou Agacinski, être ministre de Macron ou intellectuelle de gauche – qu’importe : #balancer du réac est en passe de devenir un sport progressiste. Pardon, médiatique … C’est à s’y perdre aussi ! On en oublierait presque que le discours dominant n’est jamais le discours majoritaire, uniquement le discours qui a les moyens de sa domination.

 

Même le joker est réactionnarisé

 

Non, franchement, qui n’est pas réactionnaire aujourd’hui ? Blanquer lui-même en a essuyé du « réactionnaire » en deux ans. Sud Education a fait preuve d’un zèle rare en la matière. La priorité donnée à la lecture ? Réactionnaire. Le renforcement de la maîtrise de la langue par la dictée ? Réactionnaire. Le projet de loi « Pour une école de la confiance » instaurant notamment l’école obligatoire dès trois ans ? Encore et toujours réactionnaire.

Alors cette fois, c’était peut-être celle de trop, à en croire son agacement au micro de France Inter mercredi 16 octobre : « Ne comptez pas sur moi pour avoir honte du modèle républicain français ! », s’est exclamé le ministre de l’Éducation nationale. « C’est quand même incroyable, aujourd’hui, que quand vous dites ‘’le voile n’est pas souhaitable’’, la Terre entière vous traite de réactionnaire »1.

 

Réactionnaire, « ça ne veut plus rien dire » ?

 

Rendons-nous à l’évidence : les réactionnaires poussent en France presque aussi vite que les impôts. C’en est à se demander s’ils ne sont pas sous OGM. Non, c’est vrai : multiplier les réactionnaires à une telle vitesse, ce n’est pas probablement pas très bio. L’inflation est déroutante, même pour Alain Finkielkraut.

« Sylviane Agacinski a toujours appartenu à la gauche et on la traite de réactionnaire ? Ça ne veut plus rien dire », s’est dépité l’Académicien sur Sud Radio vendredi 25 octobre, déplorant la censure imposée de fait à la philosophe récemment privée par la mobilisation d’organisations LGBT de la conférence qu’elle devait animer ce 24 octobre à l’Université Montaigne de Bordeaux, et ce en raison de ses réserves à l’égard de la GPA2.

 

 

Tiens, Montaigne justement, ambassadeur de cette modernité politique consacrée par la Révolution française en nous léguant deux enfants : la République et l’individu. La République comme espace politique commun et partagé. L’individu comme possibilité d’une existence politique qui ne soit pas que collective. Entre les deux, la démocratie comme modérateur opérationnel et concret de leurs interactions, et donc de leur équilibre. Enfin, jusqu’à ce que l’exacerbation de la logique de l’émancipation individuelle ne vienne imposer systématiquement – par le truchement de l’appareil démocratique – l’individu au détriment du commun, la partie au détriment du tout.

 

Démocratie en otage : la radicalisation de l’émancipation

 

Conséquence : le tout lui-même ne nous est plus intelligible pour lui-même, mais uniquement que comme subordonné à la partie : l’espace commun soumis à la loi du particulier. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Que nous perdons peu à peu le sens du commun – c’est-à-dire de la res publica, la chose partagée –, le bien commun ayant été réduit par le primat de l’émancipation à n’être que la somme – non pas des intérêts – mais des désidératas individuels.

Subvertie, ainsi, la logique démocratique qui ne vise plus spécifiquement l’émergence du bien commun. La démocratie est devenue l’otage d’une radicalisation de l’émancipation individuelle marquée, comme l’écrivait Laurent Bouvet, par une « mise en avant systématique de ce critère comme moyen unique et incontournable de toute relation sociale ou politique » (L’insécurité culturelle, 2016). Les pansements noirs réclamés par Rokhaya Diallo3 n’en sont qu’un avatar, non pas tant dérisoire que bel et bien symptomatique.

 

Le commun : par-dessus bord démocratique

 

Qu’il s’agisse de la GPA ou du voile, une même logique est à l’œuvre : dans le monde de l’individu-roi, devient réactionnaire tout ce qui fait primer le commun – c’est-à-dire le contraignant, l’imposé, le subi, l’hérité – sur l’individuel, le choisi, l’immédiat, le délibéré. L’habit ne fait donc plus le réac : ce n’est plus le bord politique qui fait le réactionnaire.

 

Lire aussi : Yann Raison du Cleuziou : un catholicisme persistant

 

Dans le monde de l’émancipation individuelle absolutisée, réactionnaire s’appelle désormais celui qui croit que ce qui nous est commun a plus d’importance que ce qui nous est propre. Réactionnaire celui qui fait obstacle à la désintégration républicaine. Réactionnaire tout ce qui agit pour que nous puissions encore non pas « faire société », mais être société.

Compte tenu de la somme d’héritages que nous partageons encore en commun, on comprend sans peine maintenant pourquoi les réactionnaires apparaissent chaque jour aussi nombreux. On comprend aussi pourquoi ils ont de beaux jours devant eux. A peu près autant que les progressistes.

 

Alexandre Portier

 

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