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À l’occasion de la publication de Miroir du temps, recueil de textes inédits d’André Suarès touchant tous les domaines : littérature, peinture, musique, danse et mystique, l’écrivain Luc-Olivier D’Algange évoque pour L’Incorrect un génie occulté.
Quoiqu’il en soit de la littérature, de la pensée, de la poésie, dans leurs exigences ou dans leurs abandons, à l’évidence, notre Pays, tel qu’il se trouve dans ses reniements amers et ses représentations fallacieuses, n’en veut plus. Des écrivains persistent cependant, s’illusionnant de quelque postérité ou adoptant l’éthique du « baroud d’honneur ». Ce pays si « accueillant » est crispé sur le refus de ce que ses auteurs pourraient lui donner.
Il n’y a là rien d’étonnant, puisque nous voici, en grosses majorités, figés devant des écrans qui nous relatent sur tous les tons que nous sommes morts. Le « logo » publicitaire triomphe par le dépérissement du Logos-Roi. Les logocrates, s’il en demeure, sont réputés être de méchants hommes, des « héritiers », condamnés par la vulgate bourdieusienne. Le Verbe, ce soleil, dont émanaient les chants et les prières, appartient, selon les progressistes, à des temps heureusement révolus. Le progressiste est un homme qui croit que le monde change toujours pour le mieux. Inutile d’essayer de le détromper ; il y croit avec férocité, comme on croit aux platitudes.
Le progressiste est un homme qui croit que le monde change toujours pour le mieux. Inutile d’essayer de le détromper ; il y croit avec férocité, comme on croit aux platitudes.
Si l’on songe que naguère il y eut des funérailles nationales pour des écrivains aussi libres, subtils et chatoyants que Barrès, Paul Valéry ou Colette, et qu’en semblable matière nous avons droit à tel chanteur ou joueur de ballon, force est de reconnaître qu’un abîme s’est creusé et que les passeurs sont des danseurs de corde au-dessus du vide; ce qui mériterait quelque « respect », si le mot, désormais, n’était à l’exclusif usage de ceux qui nous menacent.
Derniers passeurs
Des passeurs d’une rive à l’autre, il en demeure quelques-uns. Ainsi Stéphane Barsacq qui vient de nous donner un beau livre d’inédits d’André Suarès, intitulé Miroir du temps. Pour les Modernes moralisateurs, André Suarès sera toujours tenu à distance sous l’appellation condescendante et réprobatrice d’esthète. La beauté fut, certes, sa raison d’être, mais loin de se borner à une adoration des formes accomplies, elle fut, pour lui, une frontière frémissante, une passe, comme en quelque paysage anfractueux, vers une intemporalité d’or, un hors du temps, dans le souvenir de cette ancienne évidence: le monde est l’enluminure de l’écriture de Dieu.
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Toute l’œuvre d’André Suarès, quel que soit le propos dont il s’empare, est orientée vers le règne de l’Esprit, vers le Paraclet. Ce règne ne peut s’appréhender que par des apparences de paradoxe ou des oxymores: ténèbres lumineuses, raison dépassée par sa raison d’être, immensité dans l’infime, pur flux du temps dans l’éternité, infinie douceur de la puissance.
Certains écrivains sont plus musiciens que peintres, ou à l’inverse. L’intelligence d’André Suarès est tout autant picturale que musicale. Toute poésie naît, pour lui, d’un accord entre l’apollinien et le dionysiaque, le goût de la forme limpide et l’amour de la « terre dansante ». Il nous parle avec un égal bonheur de Pétrone et de Bossuet, de la peinture italienne et de Wagner, de Tolstoï et de Dostoïevski, de Péguy et de Céline, de l’âme de la danse et du génie théologique.
Le diapason retrouvé
L’attention aiguë, parfois cruelle, qu’André Suarès porte aux œuvres, l’attention exaltée par le détail et le nuance, ne lui interdit point l’ampleur qui rassemble dans une même louange les formes et les desseins au premier abord les plus contradictoires. De là vient précisément le bonheur que nous avons à le lire. Nous n’assistons pas au déroulement prévisible d’une thèse ou d’une esthétique mais à l’aventure intérieure d’une pensée qui s’éprouve au fur et à mesure qu’elle se formule. André Suarès n’écrit pas ce qu’il croit devoir penser pour se conformer à quelque cohérence arbitraire, de celles qui satisfont les idéologues et les doctrinaires, mais il pense ce qu’il écrit, purement et simplement, et son style en acquiert une force et une limpidité qui le place au plus haut des écrivains français.
Nous n’assistons pas au déroulement prévisible d’une thèse ou d’une esthétique mais à l’aventure intérieure d’une pensée qui s’éprouve au fur et à mesure qu’elle se formule.
Voici donc, en ce Miroir du temps, le diapason retrouvé, par devers les cacophonies et les confusions moroses dont on nous accable. Voici, de page en page, les émouvantes retrouvailles avec la légèreté, la désinvolte parfois, la sérénité de l’attente ardente.
(Dernier ouvrage paru : Le Déchiffrement du monde, chez l’harmattan).
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