Dans le cadre d’une exposition de l’artiste camerounais Barthélémy Toguo à la galerie Lelong à Paris, nous avons été alertés par un groupe de collectionneurs et d’amateurs d’art. Les œuvres présentées manifestent plus qu’une familiarité avec celles de l’artiste francais Daniel Coulet, elles en sont en fait la copie systématique. La comparaison des œuvres laisse peu de doutes.
On ne peut pas, par hasard, avoir les mêmes obsessions, traduites par les mêmes images, exprimées avec un même savoir-faire, à moins d’être biologiquement jumeaux…
Toguo imite les thèmes des toiles de Coulet puis opère une légère variation sur la forme, la couleur… Les thèmes sont des visages projetés en ombre, hantés, tracassés, piégés, possédés ; des mains sortent de leurs têtes ; des arbres poussent dans leurs bouches… La technique rappelle celle des pochoirs de Lascaux ou d’autres peintures primitives. Des obsessions toutes personnelles donc, et une façon de les exprimer, qui ne peut être que la signature d’un artiste et d’un seul. On ne peut pas, par hasard, avoir les mêmes obsessions, traduites par les mêmes images, exprimées avec un même savoir-faire, à moins d’être biologiquement jumeaux…

Coïncidence ou imitation ?
À l’heure de l’IA qui fait à la façon de, nous avons donc un artiste qui ne fait pas des copies strictes, mais des imitations en série, au point de n’être plus que la caricature d’un artiste. Précisons qu’il n’y a pas plagiat juridiquement, car, notamment, il n’y a pas de reproduction de la signature. Pas plagiaire, le Toguo, non, mais gros imitateur. Si la loi n’entre pas en ligne de compte, qu’en est-il de l’éthique ? Pour Jean Frémon, président de la Galerie Lelong : « les ressemblances sont des détails parfois infimes au regard de l’œuvre entière dont ils sont issus. » Jean Frémon qualifie le procédé du collectif de collectionneurs de trompeur.
Au contraire de Daniel Coulet, Barthélemy Toguo, lui, est habitué à amasser les recettes de son art via la commande publique, entre autres.
Le thème commun entre Toguo et Coulet est le déluge, et effectivement, Jean Frémon a raison, ce thème biblique a été traité par des milliers de peintres depuis des siècles… Il précise : « L’histoire de l’art est pleine de coïncidences de formes. » Lourdes coïncidences tout de même ! S’il ne s’agissait que d’évoquer le déluge, nous aurions établi une correspondance entre les artistes et non une comparaison. Mais la réalité nous semble largement dépasser la simple coïncidence… On pourrait admettre que Barthélémy Toguo soit fan de Daniel Coulet, qu’il l’ait pris comme maître et se mette dans son sillage, en en revendiquant l’héritage. Et si pâle copie ou imitation il y avait eu, on aurait érigé une école en distinguant le maître de son suiveur. Mais, non, il ne s’agit pas de cela puisque Barthélémy Toguo n’évoque pas Daniel Coulet, il fait semblant d’avoir son propre univers. Ce qui relève peut-être, au-delà de la cupidité, d’une forme de délire.

Copie cachée et commande publique
Quel intérêt y a-t-il à recopier l’univers d’un autre artiste ? Sans doute pour créer un réflexe pavlovien chez ceux qui ont croisé les œuvres de Coulet dans le passé sans totalement s’y arrêter, et retrouvent ainsi avec Toguo un renouveau de l’art comme on ravive une mémoire. Daniel Coulet a une certaine notoriété, son travail fut notamment présenté par le commissaire d’exposition Olivier Kaeppelin dans une préface, ou encore Pierre Cabanne dans un ouvrage. Mais Daniel Coulet n’a pas la cote d’un Toguo ! On ne lui ouvre pas en grand les portes du Palais de Tokyo… Au contraire, Barthélemy Toguo, lui, est habitué à amasser les recettes de son art via la commande publique, entre autres. On vient d’ailleurs d’avoir recours à ses services pour peinturlurer le tramway de Montpellier.

Opportunismes
Toguo veut sans doute continuer de toucher la rente qu’il s’est constituée : être le pionnier de l’art africain en Occident. Pour ce faire, il se cherche, en détournant l’univers d’un autre, un supplément d’âme dont il est probablement dépourvu. Cela tombe bien à une période de retour en grâce de la peinture dans un monde qui commence à se lasser sérieusement de toutes les bêtises de l’art contemporain, auxquelles Toguo s’est adonné. Il sait très bien concevoir des installations grotesques pour répondre aux demandes du marché de l’art contemporain et aux exigences de ses grands prêtres moralisateurs.
Toguo sait très bien concevoir des installations grotesques pour répondre aux demandes du marché de l’art contemporain et aux exigences de ses grands prêtres moralisateurs.
En 2021, pour illustrer le drame des migrants, faire du catéchisme en acte en quelque sorte, il a fait une installation, Road to Exile, à savoir une grande barque en bois qui croule sous les ballots en wax ; on le vit également concevoir six lits superposés en bois avec quarante sacs multicolores pour symboliser la promiscuité des foyers de migrants. Il faut comprendre, mais cela relève d’une simplicité d’enfant : son travail interroge le statut de l’étranger, du migrant. Pourquoi s’alarmer, au fond, l’imitation n’est peut-être qu’un détail de l’histoire mercantile de l’artiste. D’ailleurs, pour Jean Frémon, ce dossier transmis par le collectif de collectionneurs « ne remet nullement en cause à ses yeux l’intégrité de la démarche de Barthélémy Toguo. » Aux spectateurs de juger, mais au moins doivent-ils être en mesure de comparer.
