Il n’y a rien de plus insupportable que de parler de « film culte », d’abord parce que nous n’avons qu’un seul culte et que ce n’est pas celui-là ; mais surtout parce que cette qualification a tendance à décourager le néophyte et à encourager l’adepte dans ses mauvaises habitudes de consom- mation égoïste. S’agissant de La Maman et la putain de Jean Eustache, qui revient enfin sur les écrans, presque cinquante ans après sa sortie, on devrait plutôt parler de film occulte pour ceci qu’il fait semblant de ne s’adresser qu’à une infime partie de l’humanité, parisienne, inoccupée et décadente quand en réalité, on le verra, il est parfaitement universel ; et pour ceci qu’il est longtemps resté invisible, sauf à cette infime partie de l’humanité, parisienne, inoccupée et décadente, dont nous avons le regret d’avoir fait partie, qui avait le temps d’aller au Champollion ou à la Cinémathèque un mardi à 14 heures pour se cogner un film noir et blanc de 3 h 40 sur une pellicule brûlée.
La Maman et la putain, c’est donc cet autobiografilm où l’inouï Jean-Pierre Léaud déambule dans les rues de Saint- Germain-des-Prés sans autre but que de vouloir écrire un jour et de draguer les filles
Nous avions vingt ans et il n’est pas certain que ç’ait été le meilleur âge pour admirer Jean Eustache à travers Jean-Pierre Léaud qui l’incarne dans le film: onavait trop envie de lui ressembler. Et c’est son comparse Jean-Jacques Schuhl, depuis Prix Goncourt, qui en parle le mieux : « À 20 ans, il récitait ivre mort des poèmes dans des bars, il se promenait avec un flingue à Pigalle où il se faisait appeler Robert et allait guincher au musette [...] Il rêvait d’un penthouse sur la Cinquième Avenue, il était royaliste, à la fin il croyait à l’au-delà, il avait acheté à Genet un scénario, titre : La plus belle ville du monde ne peut donner que ce qu’elle a, et il lui avait filé un chèque sans provision ». [...]
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