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Éditorial culture de février : Mais les Cosaques ne meurent jamais

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Publié le

2 février 2021

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Le numéro 39 est disponible depuis ce matin, en kiosque, par abonnement, et à la demande sur notre site. Voici l’éditorial culture, par Romaric Sangars.
cosaque

J’entendais l’autre matin François Busnel sur France Inter au micro de l’inénarrable Sonia Devillers (j’aime me vriller les nerfs au réveil) lâcher un terrible aveu : « Je ne suis pas certain, disait-il, que « La Grande Librairie » soit une émission littéraire, c’est une émission autour du livre (…), de ce qu’il peut déclencher dans une société. » Manière de justifier la promotion des livres de Vanessa Springora et, le mois dernier, de Camille Kouchner, lesquels représentent les sommets médiatiques de l’émission de Busnel et, en effet, le reconnaît-il en creux, des platitudes en termes de littérature. Désormais nous le savons, en dépit de son air naïf, Busnel est conscient, conscient d’avoir substitué à la question de la littérature – de la forme et du feu –, celle du « produit livre » et de son simple écho dans la masse. Une continuation de la sociologie par d’autres moyens. Et qu’on se débarrasse des artistes, ces ennemis de la société qui cherchent moins à la réformer qu’à la dévoiler, à réparer les vivants qu’à approfondir la douleur, à résoudre les problèmes psychologiques des foules qu’à s’armer d’un style pour transcender l’existence.

Cela me rappela qu’il y a dix ans exactement, le 3 février 2011 pour être précis, Olivier Maulin et moi-même lançâmes le Cercle Cosaque avec l’ambition de prôner l’inverse de ce que François Busnel cultivait depuis déjà trois saisons. Nous recevions, ce premier soir d’hiver, le romancier François Taillandier, devant un auditoire nombreux et hétéroclite. Reprenant la formule de Bloy qui disait attendre « les Cosaques et le Saint-Esprit » au début du siècle précédent, nous proposions quant à nous de fournir déjà les Cosaques. Le Saint-Esprit finirait bien par suivre. Sabrer dans le vif, incendier les vieilleries littéraires, nous réunir autour de chefs Sioux, de glorieux vétérans ou de vibrants mercenaires dans un cadre échappant au pince-fesses mondain comme au brise-burnes scolaire, tel était le programme, un programme qui convertit en quelques mois de nombreux adhérents. Bertrand Lacarelle et Jacques de Guillebon rejoignirent bientôt le comité central de la conspiration.

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Bien sûr, des Russes curieux se montrèrent désappointés de ne pas trouver sous nos toques des visages asiates et burinés et il nous fallut bientôt préciser que notre orientalisme restait intramuros : nous étions des Cosaques de l’Est parisien, métro Belleville. Nous tenions d’ailleurs réunion dans la nouvelle salle de Sezer, un ami turc de Maulin, que beaucoup appelaient « Barak », ce qui était en effet le nom affiché sur l’enseigne, mais Maulin prétendait qu’il ne s’agissait nullement d’un prénom oriental, mais du mot « Baraka » inachevé en raison d’un mauvais calcul. En tout cas, Sezer-Barak et sa grosse moustache poivre et sel, qui était passé, selon ses dires, de la « Révolution aux boulettes de viande », nous accueillait toujours avec une merveilleuse bonhommie, lisait la plupart des livres de nos invités, privatisait l’endroit pour nous permettre d’y fumer comme au début des années 2000, et ne nous mettait dehors que vers trois heures en nous lâchant rituellement : « Je vous aime… et je vous emmeeeeeeerde ! » de sa voix rauque qui roulait ensuite dans un rire aussi affectueux qu’ironique.

Le Cercle Cosaque accueillit l’excellent Pierre Jourde après Taillandier, qui fit s’esclaffer une salle entière en flinguant Philippe Djian, il fut le lieu où s’amorcèrent des scandales (Richard Millet sur Breivik), où revinrent les grands exilés (Maurice Dantec), les grands blessés (Sylvain Tesson encore bancal), où furent convoqués des fantômes, offerts des inédits, allumées des polémiques. On y croisait Lakis et Doris de L’Atelier du roman, des journalistes, des éditeurs, des écrivains rive gauche perdus dans cet orient, mais aussi des étudiants, des passionnés, des illuminés, des cas sociaux. On y vit des poitrines dénudées et des bouteilles brandies comme des armes, il y eut des disputes et des coups de foudre, des ruptures, des embrassades, des dérapages et des triomphes.

Nous qu’on prenait pour des « déclinistes » parce que Paris et la France nous semblaient affadis, nous avons toujours été seulement des insurgés, certains que les cendres sont partout encore chaudes et qu’il suffit d’y souffler pour voir le vieux miracle à nouveau rougir

On n’y parlait jamais du « produit livre », mais seulement de littérature dans une atmosphère inflammable. Nous qu’on prenait pour des « déclinistes » parce que Paris et la France nous semblaient affadis, nous avons toujours été seulement des insurgés, certains que les cendres sont partout encore chaudes et qu’il suffit d’y souffler pour voir le vieux miracle à nouveau rougir. Et lorsqu’on voit ce qui s’écrit toujours aujourd’hui dans notre vieille langue qui est restée la plus vive, ces jeunes gens, comme Pierre Guerci, qui débutent en littérature en fonçant dans les tabous de l’époque ; ces auteurs de science-fiction, comme Romain Lucazeau, qui en disent plus sur le monde en quelques pages que les invités de France Inter en dix ans ; l’intense Paulina Dalmayer qui s’était montrée si captivante au Cercle à l’heure de son premier livre, et qui revient toujours aussi décidée à se heurter à la vie et à la mort ; Jean Berthier et le gris-or de son écriture bouleversante ; ceux-là qui sont dans ces pages ce mois-ci, Patrice Jean que nous évoquerons le mois prochain, et que nous aurions invité chez Sezer il y a quelques années, que nous inviterons peut-être demain, nous nous disons que, décidément, la résurrection est toujours possible – nécessitât-elle un grand incendie.

La France, ce pays composé par des poètes couronnés et des monarques artistes, martelé dans ces hauts fourneaux et pour cela plus résistant que s’il n’eût été qu’une résultante géographique ou raciale, comme l’acier est supérieur au fer, la France, cette nation littéraire entre toutes, renaîtra par sa littérature. Or celle-ci, pour qui s’y intéresse un peu, n’est pas encore finie. Quant aux Cosaques : ils ne meurent jamais. On ne les a pas non plus confinés. Simplement, ils sont pour l’instant « en sommeil », comme on le dit de certains volcans.

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