L’archevêque de Paris, accusé par un hebdomadaire français d’avoir entretenu une relation illicite avec une femme il y a dix ans, a présenté sa démission au Pape. Cette accusation est selon toute vraisemblance et selon nos informations fausse. Est-elle née de ressentiments internes au diocèse de Paris, dont Mgr Aupetit a traité parfois un peu lestement et brutalement les prêtres et les laïcs engagés ? L’avenir le dira sans doute. Reste que ce geste de démission au premier coup de tabac surprend. Ou pas.
Un évêque n’est-il pas la figure absolue du père ? Sous nos démocraties, les politiques passent, on les élit puis on les boude, et on les oublie. Sous nos démocraties, les parents divorcent, les enfants demeurent chez leur mère et les pères disparaissent. Sous nos démocraties, on peut refuser d’être père en administrant un simple poison à l’embryon. Sous nos démocraties enfin, rien ne demeure sinon nos sujets de jouissance.
Il est décevant pour le fidèle que nous sommes que l’évêque comme père cède si facilement aux injonctions publiques – surtout s’il est innocent
Aussi, l’Église catholique qui seule parmi les religions possède une hiérarchie aussi élaborée, aussi revendiquée, aussi stable est-elle l’anti-démocratie. Et c’est tant mieux. Nous n’élisons pas nos évêques qui élisent nos papes. Et c’est bien fait pour nous. Ces hommes qui ont choisi de se mettre à part, selon le mot de saint Paul, pour devenir prêtres et assurer la paternité spirituelle ne nous doivent rien pour leur élection : ils nous doivent tout comme pères, rien pour la légitimité. Car un père n’a jamais à prouver sa légitimité à l’être. C’est lui qui ensemence et procrée – avec celle qui devient mère du même mouvement.
Aussi n’est-il pas surprenant que Mgr Aupetit soit une cible toute désignée pour l’époque ; aussi est-il surprenant en première instance qu’il renonce si vite à sa charge ; aussi, si l’on considère combien le monde tout entier est dressé contre lui, en tant que père, n’est-il pas si surprenant qu’il soit tenté de le faire. Tout cela est fort contradictoire, certes, mais comme est contradictoire l’existence d’un père. Nous parlons d’un père moderne, dans le sens d’un père après Jésus, entièrement accompli, et qui ne compte pas sa progéniture parmi ses biens meubles, objet à vendre ou force de travail à louer, nous parlons bien d’un père qui détient une autorité sui generis et l’exerce à son seul détriment. Le père comme celui qui n’a rien à gagner, mais tout à perdre. Ainsi est l’épiscope catholique aujourd’hui devant le monde. Mais, plus bas que lui, ainsi est l’homme devant la femme. Ainsi est le mâle occidental devant la face du monde. Celui qui lui ayant tout appris ne s’en trouve que puni, puisqu’il en devient en retour l’objet de ses reproches. L’homme comme père ne peut surtout jamais être victime, il ne le doit pas sous peine de déchoir, et c’est en quoi on s’acharne sur lui.
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Il est donc décevant pour le fidèle que nous sommes que l’évêque comme père cède si facilement aux injonctions publiques – surtout s’il est innocent. Mais dans notre malheur, un éclair peut zébrer les ténèbres : c’est au pape, donc à son propre père, que Mgr Aupetit remet sa démission, faisant en cela la démonstration supérieure de la nécessité de la hiérarchie. Gageons que François saura, comme il le fit avec Mgr Barbarin, opposer une fin de non-recevoir à cette demande et reconduire le pasteur. Si peu de choses ici-bas subsistent qu’il faut bien que « la seule Internationale qui tienne » demeure stable.
Attaquée de toutes parts, et notamment par une frange vicieuse qui voudrait profiter du rapport de la CIASE sur les abominables abus pédophiles commis en son sein pour la détruire comme « institution patriarcale », la sainte Église catholique devrait saisir cet instant favorable, ce kairos pour se réformer en profondeur, mais non pas comme ces mondains le souhaitent, tout au contraire : souvenons-nous en effet que c’est Luther le premier qui réclama un concile, qui devint celui de Trente et sonna la charge contre le protestantisme, afin de le détruire entièrement.
Plus que jamais, nous voulons un pape semblable à celui qu’incarne Jude Law dans la merveilleuse série The Young Pope : souverain, inébranlable, autoritaire, saint, serviteur des serviteurs, c’est-à-dire : père.