Emmanuel Macron est un tricheur. Mais tricher avec des imbéciles, est-ce un si grand crime ? Surtout quand les imbéciles, c’est nous. Qu’avons-nous compris à ce monde pour échouer avec une telle régularité, et sans la moindre honte apparente – depuis plus de deux cents ans pour les plus réactionnaires d’entre nous? Une éclatante victoire, a confirmé certaine candidate en considérant son score pourtant malheureux ; nos idées ont infusé, ont péroré d’autres militants, d’une droite autrement bourgeoise et qui se voient chaque matin plus beaux en leur miroir. Nous sommes des vendeurs de rêves, mais nous nous les vendons à nous-mêmes. Et très cher, en plus : que d’énergie, de volonté, de temps dépensés à croire à ce que nous croyions déjà, et à prêcher à notre petit cousin les idées dans lesquelles il est né.
Ces idées, pour nobles qu’elles soient – transmission, grandeur, subsidiarité, démophilie, patriotisme, liberté, vérité, justice, amour du faible – sont demeurées du vent, parce que nous ne savons tout simplement pas les incarner. Où sont nos œuvres? Presque nulle part. Comme le dit un excellent camarade, si jamais nous voulons conserver, il faut être capable de penser un monde de chapelles romanes et de voitures volantes. En même temps.
C’est ici que Macron nous a trichés, que Macron nous a volés?: il a plus que théorisé, ce qui en l’occurrence ne sert à rien, mis en œuvre une dialectique imparable, hégélienne de certaine façon, où tout ce qui est obstacle devient appui, où comme dans un couple pervers le mal qu’on a fait à l’autre sera moyen de lui faire plus mal encore la fois suivante. Ainsi des Gilets jaunes qui n’auront servi qu’à l’organisation de ce Grand débat interminable où le président s’illustra comme jamais.
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L’en même temps aurait dû être depuis toujours notre programme : le peuple en même temps que la nation; le localisme en même temps que l’universalisme ; le prêtre en même temps que le roi ; la justice en même temps que la compassion; la liberté en même temps que la vérité. Bref, le monde qui vient en même temps que le monde d’où l’on vient.
Emmanuel Macron avait raison, il faut s’y rendre. Plus raison que lui-même ne le sait : il faut partir du réel et ce réel, c’est un peuple qui n’en est plus un parce qu’il est désaffilié, oublieux de lui-même autant qu’oublié des grands de ce monde ; le réel, c’est donc de reconstruire ce peuple. À trop se méfier des constructivistes, à trop croire en un peuple organique, il est sorti de notre mémoire que ce peuple avait été patiemment façonné, élaboré, construit donc à partir d’un substrat qui n’était guère glorieux en soi : Gaulois païens et querelleurs, divisés et sanguinaires, à la foi aussi nulle que la loi. Et c’est certainement ce que ce peuple est redevenu. Le tenaille infâme de la déculturation à l’américaine, bien accompagnée par l’autodestruction de l’éducation nationale post-soixantehuitarde d’un côté ; de l’immigration sauvage, de masse, africano-musulmane, entassée dans des « quartiers » qu’elle détruit à mesure qu’on y déverse des milliards, de l’autre ; cette tenaille aura réduit en un matériau pulvérulent ce qu’auparavant on nommait le Français moyen. Il n’y a presque plus rien de grand qui puisse sortir de lui. Ce qui n’est pas une raison pour l’abandonner, tout à fait au contraire.
Et comme ce peuple est mou et atone, il est maintenant certain que la démocratie n’est pas notre horizon
Mais c’est une raison pour le gifler, comme on faisait naguère au cancre du fond de la classe. Et nous nous y incluons, dans cette cancrité, qu’on n’y trompe pas. Sans les œuvres, notre foi est vaine. Tant que nous n’aurons pas rebâti les meilleures écoles du monde, réinventé les plus beaux arts pour ensoleiller la terre, relancé un enthousiasme de masse, par tous les moyens fors ceux que la morale réprouve, nous n’aurons rien fait. Et comme ce peuple est mou et atone, il est maintenant certain que la démocratie n’est pas notre horizon : qu’en tout cas, ce n’est pas par des moyens démocratiques – le vote, le débat, l’égalité des opinions, l’État de droit ou ce qu’on appelle ainsi aujourd’hui – qu’on sauvera ce peuple. Une voie politique neuve reste à tracer, qui d’hier à demain traverse le bel aujourd’hui. En même temps.