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Éditorial essais #37 : Les yeux grands fermés

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Publié le

4 décembre 2020

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L’éditorial essais du numéro 37, par Rémi Lélian.
yeux fermés

Dans un texte à propos du 21 avril 2002, le très regretté Philippe Muray écrivait que le réel avait été reporté à une date ultérieure, c’est-à-dire que, malgré le coup de tonnerre de la présence de Jean-Marie le Pen au second tour, l’ensemble de la société médiatique, dont Festivus est le citoyen, avait pu grâce à un effort de refoulement psychique phénoménal faire comme si rien ne s’était vraiment passé ; on concaténa sous le slogan « sentiment d’insécurité » les raisons ayant permis au patron de la PME Front National de parvenir à éjecter Jospin. Ouf ! « On a eu chaud ! conclut Muray, le réel a été repoussé à une date ultérieure ».

Mais je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, d’un temps où l’on imaginait le réel seulement repoussé par les médias, là où il était déjà rapetissé et remâché par une idéologie qui le digérait à sa convenance afin de le rendre inoffensif. La ligne de partage était relativement claire, il y avait le réel, dur, vrai, et il y avait ceux qui n’y croyaient pas, qui ne le voyaient pas, ceux pour qui le réel n’était que la somme de leurs envies et ce qu’ils voulaient voir parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement que voir ce qu’il leur faisait plaisir de voir. C’était avant internet en fait, avant que la sphère médiatique se propage et se multiplie comme une métastase et plutôt que de se retrouver centralisée dans ce que l’on a appelé le quatrième pouvoir – ce qui permettait au moins de savoir, quand il y en avait, où était le déni – finisse par être divisé et réparti « citoyennement ».

Lire aussi : Édito essais #36 : Nietzsche partout mais nulle part

Ainsi, chacun a droit désormais à sa part de déni, chacun à présent peut repousser le réel à une date ultérieure, croire que l’épidémie est un hologramme sanitaire, sans se soucier de la saturation des services de santé, que Trump a été élu et qu’on a triché pour empêcher son élection, sans que le camp de Trump, trois semaines révolues depuis les présidentielles américaines, n’ait encore fourni la moindre preuve nécessaire à rendre de pareilles accusations crédibles. On peut même penser que Hold-Up, grotesque documenteur, qui joint comme on l’a rarement observé le mensonge au ridicule, pose, malgré tout, des questions qui méritent qu’on y réfléchisse. C’est dire si le réel se porte mal, d’ailleurs, plus personne n’y croit.

Tout le monde a trébuché dans la psychose : des fameux masques inutiles de mars rendus obligatoires en août sans qu’on concède la moindre erreur d’appréciation, après quoi la macronie s’étonne que les Français respectent moins les consignes de distanciations utiles au ralentissement du virus, à la deuxième vague qui, à l’instar de la guerre de Troie, n’aura pas lieu. Il a fallu plus de deux cents morts du « terrorisme » en France en cinq années, et la décapitation de Samuel Paty à la sortie de son lycée, après qu’un appel d’offres fut lancé sur internet par des parents d’élèves mécontents qui réclamaient sa punition, pour qu’on se décide à le qualifier officiellement de « terrorisme islamique ». Le réel a la dent dure et comme Dieu ne disparaîtra pas sous prétexte qu’on y a renoncé. C’est même à cela qu’on le reconnaît, il persiste, il est même probable qu’il se venge. Philipp K. Dick, autre écrivain génial, écrit que « le réel c’est ce qui continue d’exister quand on cesse d’y croire ». On va fermer les yeux très forts, mais on n’est pas sorti de l’auberge.  

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