On se désole souvent du manque de spiritualité qui serait un marqueur de notre décadence. Rien ne va plus ma bonne dame, les gens ne croient plus en rien sinon à leur petit confort et à leur santé, c’est la biopolitique, c’est l’ordre sanitaire, c’est la fausse vie, c’est… C’est rien du tout ! Car, outre le fait qu’il faudrait expliquer aux contempteurs de la « dictature sanitaire » la réalité du concept foucaldien de biopolitique et comment il s’imbrique dans un système capitaliste de telle sorte que la Suède tant vantée en aura été récemment le meilleur exemple, il est de moins en moins question de matière aujourd’hui – et de plus en plus d’esprit.
Le XXIe siècle est – et il est spirituel ! À tout le moins, il se dirige vers l’esprit faute de pouvoir y monter
« Le vingtième-et-unième siècle sera spirituel ou ne sera pas », écrivait Malraux que l’on aime à citer, et, en effet, le vingt-et-unième siècle est – et il est spirituel ! À tout le moins, il se dirige vers l’esprit faute de pouvoir y monter. On n’a jamais été autant déconnecté du réel, de la chair et des corps, via le fantasme débondé, selon la pornographie qui a quitté nos écrans depuis longtemps pour se multiplier dans l’intimité de l’amour, la maladie et le pouvoir d’entropie des épidémies étant même devenus quasi inconcevables pour certains d’entre nous. Les identités fluctuent, changent au gré de ce que notre esprit désire, je suis un homme trans, une femme trans, un panda trans, ou inversement peut-être, sans plus savoir qui je suis à force d’avoir voulu être ce que je veux, parce que je ne m’arrime à plus rien d’autre qu’à cet esprit autonome dont la virtualité de la Toile n’est pas la préparation mais la conséquence sans cesse perfectionnée. Oui, mais c’est la mathématisation du monde, la mise en équation du réel qui nous prive du bon parfum des fruits mûrs et de la saine terre qui colle à nos semelles et nous fait nous sentir de quelque part ! Autre blague, nouvelle hypocrisie, comme si on n’avait jamais à respirer aussi la pestilence des viandes pourries et que les périodes de famines consécutives à un hiver trop rude et trop long s’accueillaient stoïquement afin de fortifier notre tempérament par la mort d’un ou deux gosses.
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Dès que l’homme a pu sortir de la boue et cesser de crever de faim, il l’a fait – et il a eu raison quoique cela n’empêchera jamais la boue et la faim de revenir sous de nouvelles formes. Personne n’aime la vie dure et tragique, personne ne veut s’y confronter, pas même ceux qui réclamaient le retour à la fatalité de l’existence, faisaient les chauds devant le Covid, en règle générale parce qu’ils n’en étaient pas les proies privilégiées, et qui soudain flippent de se faire vacciner pour la raison qu’un risque largement hypothétique les regarde désormais en face. Pauvres enfants terrifiés qui rêvaient de confiner les vieux et les gros (avec un « Pass de la honte » ???). À présent discriminés au nom de ce qu’ils réclamaient par un gouvernement qui ne les a que trop bien écoutés, de sorte qu’on en viendrait à espérer un nouveau confinement généralisé qui les sortirait de la nasse où ils se sont aventurés. Pour le coup, les malheureux payent le fait d’avoir été mauvais en math et d’avoir vécu à l’instar de notre siècle selon leur esprit désincarné, selon le fantasme qu’ils avaient à la fois d’eux-mêmes et de la « grippette » dont ils purent conjurer la peur grâce à cela. On se rappellera alors que la spiritualité n’est pas une fin en soi, que seule elle est même mauvaise et qu’on y est en ce moment précis enfoncé jusqu’au cou.