En 1942, l’artiste allemand Max Ernst, peintre et sculpteur dadaïste et surréaliste, achève son tableau L’Europe après la pluie, entamé en 1940, dans la France occupée. Dans le décor couvert de ruines, à la fois organique, minéral et végétal, on distingue quelques figures humaines se détachant d’un paysage corrodé qui s’apparente tout autant à un charnier qu’à la terre retournée par les bombardements. En 1942, Ernst évoque à travers cette représentation cauchemardesque une Europe ravagée par la guerre et interroge : quelle humanité émergera dans les ruines de « l’Europe après la pluie » ?
L’Europe après la pluie du coronavirus se révèle plus que jamais incapable d’assumer son destin historique, pas plus que son rôle de puissance mondiale
Nous ne sommes pas en 1945, n’en déplaise à Klaus Schwab et Thierry Malleret, auteurs de The Great Reset, publié sous l’égide du Forum Économique de Davos, au cours de l’été 2020, pour lesquels « la catastrophe économique globale à laquelle nous sommes confrontés est la plus profonde enregistrée depuis 1945 ». Les auteurs de cet ouvrage, qui a suscité de fortes réactions et engendre nombre de théories conspirationnistes, n’en sont eux-mêmes pas à une outrance près pour justifier leur propos. La pluie qui s’est abattue sur l’Europe en 1939-1945, et même celle qui déferla avec la Première Guerre mondiale et l’épidémie de grippe espagnole, font passer pour une giboulée la pandémie de Covid-19.
Pour autant, si rien ne justifie en termes de mortalité ce type de comparaison, l’épidémie de coronavirus a servi de révélateur, mettant au jour les carences de nos systèmes hospitaliers, le caractère parfaitement illusoire de la solidarité communautaire au sein de l’UE, la dangerosité profonde du dogmatisme libre-échangiste et les errements des prophètes de la fin des nations et des gourous du no borders. L’Europe après la pluie du coronavirus se révèle plus que jamais incapable d’assumer son destin historique, pas plus que son rôle de puissance mondiale. En attendant la prochaine averse épidémique, elle reste une vaste et prospère communauté d’épiciers plus obsédés par la régulation à tous crins que par la volonté de faire face de manière collective aux nouveaux défis géopolitiques, comme en témoigne la réaction timorée des Européens face à l’aventurisme d’Erdogan en Méditerranée ou dans le Caucase. La France et la Grèce se sont retrouvées bien seules face au sultan d’Ankara.
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La victoire de Joe Biden pousse aujourd’hui une partie des élites européennes à se réjouir. Enfin, le retour à la normalité, l’établissement de relations transatlantiques plus rassurantes ! Pourtant, dans les années ou les décennies qui viennent, les historiens seront peut-être amenés à réévaluer le bilan, notamment à l’international et en particulier face à la montée en puissance de la Chine, de Donald Trump. Mais quoi que l’on pense du bilan du 45e président des États-Unis, que l’on considère celui-ci comme une catastrophe ou comme une rupture bienvenue, force est de constater que les Européens n’auront, une fois de plus, pas su s’affirmer dans la tempête qui a secoué les relations internationales, s’enfermant au contraire durant quatre ans dans le déni et la déploration, attendant craintivement que passe l’orage pour célébrer l’arrivée d’un libérateur plus conforme à leurs souhaits dans le bureau ovale de la Maison-Blanche.
Et pourtant, on voit que les lignes continuent de bouger, en France, dans le Royaume-Uni post-Brexit, au Portugal ou en Allemagne. Bon gré mal gré, la pluie achève en Europe d’abattre les vieilles ruines de l’angélisme. Serons-nous capables d’ériger sur ces ruines un projet politique qui soit enfin à la mesure de la France et du Vieux Continent ? Si ce n’est pas le cas, la prochaine tempête sera bien plus sévère.