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Éditorial monde de mars : Les somnambules

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Publié le

3 mars 2023

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« Une partie de la droite continue aujourd’hui de courir après ses illusions perdues. » Éditorial monde du numéro 62 par Laurent Gayard.
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« Nous marchons vers la guerre comme des somnambules », déclarait, il y a neuf mois, Henri Guaino, à propos de la crise déclenchée le 24 février précédent. Ce n’est pas à l’Europe, pourtant, qu’il faut appliquer cette comparaison, mais à la droite, dont les ténors – souvernainistes, pseudopatriotes et ex-sarkozystes – marchent, depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, comme des somnambules, incapables de saisir la véritable nature du projet poutinien, cramponnés à leur grille d’analyse obsolète et inopérante. Dans le cas d’Henri Guaino, comme pour une grande partie de sa famille politique, cette grille de lecture est tributaire d’un mythe assez récent – le « passé d’une illusion » aurait dit l’historien François Furet – celui d’une victoire diplomatique que la France aurait remportée en 2008, en amenant Vladimir Poutine à accepter un cessez-le-feu après le conflit-éclair mené par le grand frère russe contre son petit voisin géorgien. La légende veut que, dans l’avion ramenant à Paris Nicolas Sarkozy et son équipe, on ait largement fêté la victoire diplomatique remportée par le président appelé au chevet du Caucase. Il n’y a pas eu de victoire.

Vladimir Poutine avait simplement besoin d’un factotum diplomatique pour avaliser sa conquête éclair et ranger les cotillons et les gobelets vides après la célébration de la victoire russe.Du côté français, la pseudo-victoire a nourri l’illusion que le pays pouvait jouer les arbitres entre l’Occident et la Russie et ramener à la raison, quand cela était nécessaire, l’ours russe pour continuer à faire des affaires.

Lire aussi : Éditorial monde de février : La voix du déclin

Déjà, la méconnaissance profonde du projet poutinien égarait le sarkozysme qui alimentait son propre mythe, un peu vulgaire, du business à tout prix et de l’hyper-président-VRP, pour le raccorder tant bien que mal à l’épopée gaulliste de l’indépendance française, jouant les Russes contre l’envahissante Amérique. Le 25 janvier 2011, à Saint- Nazaire, le ministre de la Défense Alain Juppé et le vice-premier ministre de la Fédération de Russie, Igor Setchine signaient une lettre d’intention pour la construction et la livraison de deux porte-aéronefs à la Russie. Toute la Sarkozie se réjouissait de ce nouveau succès du business et de la diplomatie française en Russie.

En mars 2014, la Russie envahissait la Crimée. La guerre du Donbass débutait. Le plan poutinien se dévoilait. Un certain Thierry Mariani avait beau parader en Crimée pour proclamer qu’il s’agissait d’une terre « historiquement russe », tout le monde n’était pas aussi prompt à rallier avec autant d’enthousiasme le récit du Kremlin. En annexant la Crimée, la Russie bafouait les engagements de 1996, pris lors du mémorandum de Budapest, avant de s’essuyer les pieds avec autant d’entrain et de constance sur les protocoles de Minsk I et Minsk II, un an plus tard. Les Mistral ne seront jamais livrés et le contrat sera même annulé par la France en 2015. Vladimir Poutine lui, a continué à dérouler son projet, jusqu’à tenter d’envahir l’Ukraine, mettant le monde depuis un an au bord de la Troisième Guerre mondiale.

On voit mal aujourd’hui comment il est encore possible de s’illusionner sur les intentions de Poutine et sur la réalité de l’entreprise de reconquête impériale initiée par Moscou

Une partie de la droite continue aujourd’hui de courir après ses illusions perdues, par la voix de quelques ténors comme Henri Guaino. Mais le plus acharné à entretenir la flamme de l’alliance franco-russe reste Mariani. Au moment où Guaino évoquait, en mai 2022, le « somnambulisme » qui nous menait vers une guerre déjà commencée, Mariani défendait lui, sur le site de L’Incorrect, les « bénéfices mutuels évidents qui surgiraient d’un réchauffement de nos relations avec Moscou », alors même que les Russes venaient d’échouer à prendre Kiev et enterraient les populations civiles et les villes ukrainiennes sous les bombes. Le 2 février, Thierry Mariani récidive, toujours dans L’Incorrect : « S’il veut gagner sa guerre, le Président ukrainien n’aura pas assez de nos chars et de nos avions, c’est nos enfants qu’il réclamera en plus de notre argent ».

À ce niveau de reproduction de la propagande du Kremlin, on ne peut plus se contenter de parler de somnambulisme. Ce sont les yeux grands ouverts que Thierry Mariani sert la soupe au Kremlin. Car on voit mal aujourd’hui comment il est encore possible de s’illusionner sur les intentions de Poutine et sur la réalité de l’entreprise de reconquête impériale initiée par Moscou. En dépit des mensonges rassurants proférés par les uns ou les autres, il est temps de se rendre compte que nous sommes rentrés dans un schéma d’affrontement au long cours dont Poutine est le dernier à vouloir sortir. Le 21 février, réagissant à la visite de Joe Biden à Kiev, le président russe promettait simplement de poursuivre « méthodiquement » son offensive. Ne proclamait-il pas, en 2018 : « La Russie n’a jamais perdu la guerre froide… parce que la guerre froide n’est pas finie » ? Mais rassurons au moins Thierry Mariani sur un point, car il n’oublie pas de faire pleurer un peu dans les chaumières sur son propre sort : « Les consignes du gouvernement français et de la Commission européenne sont telles que, demain, les partisans d’une paix rapide en Ukraine seront peut-être embastillés pour avoir défendu leur opinion ». N’ayez aucune crainte, cher Thierry ! En France, on n’embastille pas encore aussi facilement les gens pour leurs opinions. En Russie, en revanche, on les abat de temps à autre, Anna Politovskaïa en sait quelque chose. Il faut choisir son camp, camarade !


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