L’on vous connaissait essayiste avec Adieu Mademoiselle puis Le porc émissaire. Vous réalisez avec La Guerre des idées une véritable enquête journalistique. Pourquoi ce changement de style ?
Tout d’abord, j’avais fait le tour de la question du féminisme, qui est une question très intéressante. Aussi, je ne voulais pas m’enfermer là-dedans et devenir la rentière d’une cause en particulier. Je souhaitais élargir mon esprit, et il se trouve que je travaille pour les pages Débat du Figaro, où j’interroge des intellectuels appartenant à des sensibilités différentes. J’ai pris goût à ce débat d’idées. Je suis partie d’un paradoxe, la coexistence dans le débat public de discours contradictoires : d’un côté la gauche qui prétend que la droite a gagné la bataille des idées, et de l’autre les « réacs » qui se disent muselés et interdits de parler. J’ai voulu aussi comprendre l’origine et le caractère inédit ou pas du nouveau sectarisme contemporain qu’on appelle « cancel culture ». Au fond, je voulais savoir si la vie intellectuelle était mieux avant, ou si ce sectarisme était le resurgissement de quelque chose de très ancien.
Le débat est-il meilleur aujourd’hui ?
Aujourd’hui, il y a plus d’options radicalement opposées sur la table. L’Incorrect et Libération coexistent. Des idées qui auparavant se trouvaient aux marges du débat d’idées existent de plein droit. Simultanément, il y a ce nouveau sectarisme idéologique qui consiste à transformer les idées en délits, les opinions en offenses, et qui pour ce faire étend le champ de l’incitation à la haine à tout point de vue discordant sur un certain nombre de sujets progressistes. L’adversaire est transformé en ennemi. Par une forme d’hyperconséquentialisme, on met l’accent sur les conséquences supposées graves d’une opinion, alors qu’en réalité tout opinion à un certain nombre de conséquences. Derrière ce phénomène, il y a l’extension du domaine de la « violence symbolique » créée par Bourdieu : tout discours est potentiellement une violence en soi, et l’on est dès lors légitime à l’exclure du débat public pour à rester entre nous. [...]
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