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Les fake news, colportées jadis par le bouche à oreille, et aujourd’hui par les media sociaux, sont un fléau. L’accroissement du sens moral qui en réduirait la production serait le bienvenu, mais ne serait-il pas plus productif de centrer l’action du législateur sur la purification de ce dont il est directement responsable, à savoir la loi elle-même.
Faut-il toujours dire la vérité ? Il existe des situations dans lesquelles s’abstenir de dire ce que l’on sait constitue un devoir : pensons par exemple au secret professionnel des médecins. Il y a même des tromperies bienfaisantes : faire croire que l’on va attaquer en A, alors que l’on a comme plan de bataille de porter son effort sur B, a permis plus d’une fois de gagner des batailles en sacrifiant moins de vies humaines. Cela étant, les fake news, colportées jadis par le bouche à oreille, et aujourd’hui par les media sociaux, sont un fléau, comme les moustiques ou les tiques. L’accroissement du sens moral qui en réduirait la production serait le bienvenu, comme l’a été l’assèchement des marécages grâce auquel la population de certains insectes nuisibles a fortement diminué. Mais faut-il ajouter aux dispositifs légaux et réglementaires qui existent déjà en la matière ? Il me semblerait nettement plus productif de centrer l’action du législateur sur la purification de ce dont il est directement responsable, à savoir la loi elle-même.
Il existe dans la loi des truquages, des mensonges, des atteintes à la vérité, qui sont d’une extrême gravité. La loi sert, dans un certain nombre de cas, à imposer une sorte de vérité officielle qui occulte la vérité réelle, celle qui tient à la nature des choses. Ces Fake Laws peuvent porter un tort considérable à la population qui leur est soumise. Il existe probablement des mensonges législatifs dans bien des domaines ; les règles fiscales en comportent par exemple un que tout le monde connait : l’imposition des intérêts nominaux comme s’il s’agissait d’intérêts réels, qui a spolié de nombreux contribuables à l’époque où la hausse du niveau général des prix était assez forte. Mais je me limiterai dans ce qui suit à deux Fake Laws d’une grande importance, que mes recherches en économie m’ont amené à détecter et à dénoncer : le mode d’attribution des droits à pension dans les régimes en répartition, et la séparation des cotisations sociales entre cotisations salariales et cotisations patronales.
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Dans l’état actuel des textes, la retraite du régime général est définie par des textes très alambiqués qui ne permettent pas de déceler facilement l’entourloupe, c’est-à-dire le fait que le droit d’obtenir une pension découle des cotisations versées au profit des personnes âgées. L’article L351-1 du code de la sécurité sociale (CSS) détermine en effet les principes généraux d’un mode de calcul de la pension du régime général en fonction du « salaire annuel de base » sans indiquer pourquoi. Quant aux principes généraux, définis dans le tout premier article du CSS (L.111-1), ils se bornent à une référence au « principe de solidarité nationale », formule incantatoire à laquelle on peut faire dire (et l’on fait dire) tout et n’importe quoi, et à dire que la sécurité sociale « assure le service (…) des allocations de vieillesse ». Les partenaires sociaux ne sont pas plus précis dans le corps même de la convention AGIRC 1947, que nous prenons évidemment ici dans sa version mise à jour du 1er janvier 2018. Mais les articles 1 et 2 du titre 1 de l’annexe 1 précise que les « allocations » sont déterminées en multipliant le nombre de points acquis au prorata des cotisations versées selon les règles figurant dans le corps de la convention par la « valeur du point de retraite fixée annuellement par le CA de l’AGIRC ». On a donc un modus operandi précis qui fixe une relation entre cotisations et pensions : le montant de ces dernières résulte directement des versements de cotisation effectués tout au long de la carrière.
Le droit positif est donc dans une position de superbe ignorance vis-à-vis de la réalité économique
C’est à cette règle que nous devons nous intéresser puisque le projet présidentiel adopte sans ambigüité le principe de droits à pension découlant des versements de cotisation vieillesse en respectant la règle selon laquelle un euro de cotisation doit procurer les mêmes droits quel que soit le cotisant. Or cette règle juridique est totalement en porte-à-faux avec la réalité économique. Celle-ci est un échange entre générations successives ; les membres de la génération A mettent au monde, éduquent et entretiennent leurs descendants de la génération B, sur lesquels ils acquièrent ainsi des droits, et ceux-ci, quelques décennies plus tard, s’acquittent de la dette ainsi contractée en versant des cotisations qui sont reversées, sous forme de pension, à leurs aînés retraités. Le droit positif est donc dans une position de superbe ignorance vis-à-vis de la réalité économique. Dans le régime général, les dispositifs de rachat d’annuités montrent bien que, même si le législateur est resté plus vague que les partenaires sociaux, on est aussi dans une perspective du type « j’ai versé des cotisations vieillesse, donc j’ai droit à une pension ». Or une telle formule n’est adaptée qu’aux retraites par capitalisation. Le droit positif de nos retraites par répartition est donc au mieux un « pieux mensonge » destiné à « ne pas désespérer Billancourt », comme disait Sartre dans L’enfer c’est les autres, à moins qu’il ne s’agisse tout simplement d’un aveuglement de certains des législateurs qui se sont succédé en France et d’un manque de courage des autres devant le caractère iconoclaste de la réforme à accomplir. Quoi qu’il en soit, le résultat est que le droit positif de nos retraites par répartition, qu’il ait la forme de textes de loi ou de conventions collectives, est un magnifique exemple de Fake Law.
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Il est difficile de trouver un texte parlant des cotisations sociales françaises qui ne comporte pas une jérémiade concernant le poids écrasant de ces cotisations et les conséquences désastreuses qui en résulteraient pour les entreprises, l’emploi, la compétitivité du pays, la balance commerciale, et tutti quanti. Les politiques d’allègements de charges sociales patronales constituent depuis une vingtaine d’année le leitmotiv des gouvernants comme des commentateurs. Or il s’agit là d’une erreur grossière, liée à une histoire qui remonte au XIXème siècle, à l’époque où certains patrons mirent en œuvre une technique de motivation de leur personnel consistant à donner des rémunérations supérieures à ce qu’ils auraient pu faire compte tenu de l’état du marché du travail. Ces « sursalaires » avaient le triple avantage de fidéliser les ouvriers, de leur donner du cœur à l’ouvrage, et de positionner l’employeur comme un homme de bien, sensible aux difficultés des pauvres gens. Mais pour bien montrer qu’ils allaient au-delà du prix de marché du travail, et pour maximiser le rapport entre la dépense effectuée et l’utilité supplémentaire apportée aux salariés, ces patrons intelligents et raisonnablement altruistes donnèrent à ce supplément de rémunération la forme d’une cotisation à une société de secours mutuel remplissant les fonctions de sécurité sociale exercées, à l’époque médiévale, par les corporations. De plus, dans un souci éducatif, ils demandèrent à leurs salariés de verser eux aussi une petite cotisation. Cette forme de protection sociale très paternaliste a pris une ampleur que n’auraient jamais imaginé ses créateurs, et elle a été prise en main par l’Etat, mais la cotisation patronale est restée en place, et les organisations patronales y sont très attachés, d’autant plus attachées qu’elle leur donne une bonne raison de se plaindre et d’obtenir des réductions sur ces « charges sociales » réputées renchérir le coût du travail. L’idée économiquement fausse selon laquelle les cotisations patronales renchériraient le coût du travail, constitueraient une sorte d’impôt sur les entreprises, est indéboulonnable puisqu’elle donne du grain à moudre aux syndicats patronaux.
Cette forme de protection sociale très paternaliste a pris une ampleur que n’auraient jamais imaginé ses créateurs
Nonobstant le maquis de réductions évidemment mis en place par un complexe politico-administratif qui y trouve lui aussi une raison d’être et un moyen de paraître, il ne serait pas très compliqué de basculer la grosse majorité des cotisations patronales sur les cotisations salariales sans rien changer en ce qui concerne le salaire net, le coût du travail pour l’employeur et les recettes de la sécurité sociale. Seulement voilà : le système de Fake Laws qui organise la soi-disant mise à la charge de l’entreprise d’une grande partie du financement de la sécurité sociale est très apprécié, comme il vient d’être dit, d’un grand nombre de personnes et d’organismes qui trouvent leur avantage à s’en occuper. Quand un mensonge s’est enraciné dans des structures très complexes qui servent d’habitat préféré à beaucoup de beau monde, il est difficile de le remplacer par la simple vérité, à savoir que la vraie rémunération du salarié est le salaire super-brut, et qu’il paye en fait – économiquement – la totalité des cotisations sociales, aussi bien celles que l’on dit patronales que celles que l’on dit salariales. Voici, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, ce qui pourrait utilement vous occuper : le gros canon que vous avez entre les mains est inopérant, du moins dans un pays épris de liberté, en ce qui concerne les Fake news, alors qu’il ferait des merveilles si vous le pointiez sur les Fake laws.
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